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Psychanalyse et Zen : Du langage au silence

Une réflexion de Georges Toullat


Georges ToullatUne réflexion de Georges Toullat sur les convergences et les divergences des deux pratiques du Zen et de la psychanalyse : "Psychanalyse : Un jour, la parole nous délivre du langage. Zen : Un autre jour, le silence nous délivre de la parole." Ecrit-il.

Après des études de psychologie à Paris, Georges Toullat a exercé dix ans auprès de patients gravement malades, dans un service de neurologie. Occupant aujourd'hui d'autres fonctions, il partage son temps libre entre sa famille et la pratique assidue du Zen.

Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf.


Bien que la psychanalyse et le Zen présentent des points communs, les deux démarches ne peuvent cependant être confondues. Pourtant cette tendance se rencontre assez souvent, principalement dans les ouvrages destinés au grand public, qui veulent parfois réduire le Zen à une méthode de psychothérapie ou de bien-être, lui retirant ainsi toute dimension spirituelle. "Etre zen" est une expression actuellement répandue ; synonyme de sérénité voire de placidité, elle traduit cette tendance réductrice, qui amuse (et parfois agace) les pratiquants du Zen en tant que cheminement spirituel.

La thèse développée ici, qui tente de situer le point où les deux démarches divergent, tient en deux formules concises, qui formeront la trame de cet article :

"Psychanalyse : Un jour, la parole nous délivre du langage."

"Zen : Un autre jour, le silence nous délivre de la parole."

Comme on le devine à la lecture de ces deux formules, ce n'est pas d'apprentissage, d'acquisition, ou d'accumulation de savoirs dont il est question ici, mais tout au contraire d'un dépouillement progressif de ce qui fait la singularité de l'être humain pensant : le langage et la parole.

Bien entendu, l'être humain est un tout ; il est donc naturel que la psychanalyse en tant que guérison psychologique, et le Zen en tant que guérison spirituelle, partagent des caractéristiques communes, qui favorisent la confusion des genres. Ajoutons que cette confusion est parfois volontairement entretenue, d'une façon qui n'est pas toujours innocente.

Sans prétendre à l'exhaustivité, nous relèverons quatre analogies :

Remarquons tout d'abord la mise en place d'un cérémonial. La séance de méditation et la séance d'analyse sont des situations très codifiées, dont les règles sont connues dès le départ. Ces règles s'appliquent premièrement à la posture physique et aux conditions matérielles de la séance.

Pour zazen : Lieu calme, zafu, posture assise et droite, pose du regard, position des mains, immobilité, saluts, respect des règles du dôjô, durée fixée.

Pour la séance d'analyse : Pièce au décor neutre, divan, posture allongée de l'analysant, analyste en retrait (pour que les regards ne se croisent pas), durée fixée également. [1]

Pareillement, l'attitude mentale obéit à son tour à des règles précises. Essentiellement introspective, elle se caractérise dans les deux cas par une consigne fondamentale : l'absence de censure de ce qui surgit dans le champ de la conscience. Et la pratique montre que c'est d'ailleurs à ce moment précis que les difficultés commencent. [1]

Zen et psychanalyse partagent également la caractéristique d'être une situation duelle, où la relation à l'autre (maître zen ou analyste) joue un rôle central. Cette relation connaît des avatars : Elle devient parfois perturbante ; la poursuivre malgré tout jusqu'à une terminaison heureuse est souvent le signe de l'affranchissement du sujet. [1]

Dans les deux pratiques, la séance entraîne dans la vie de tous les jours des répercussions, qui peuvent débuter quelques heures ou quelques jours plus tard, et sont susceptibles de modifier durablement des pans entiers de l'existence.

Enfin, c'est sous une forme initiatique que s'opère la transmission d'un savoir supposé, directement de personne à personne, car on ne devient ni psychanalyste ni instructeur Zen de son propre chef.

D'autres analogies pourraient certainement être découvertes, mais elles n'ajouteraient rien d'essentiel à notre propos. Reprenons notre première formule, qui concerne la psychanalyse.


Un jour, la parole nous délivre du langage

Comme Sigmund Freud l'a abondamment montré, et Jacques Lacan systématisé plus tard, la névrose est un langage, qui peut se décrypter, et dont on se délivre par la parole lors de la cure analytique. [1] [6]

Fiers de notre rationalité et de notre libre-arbitre, nous sommes persuadés d'agir sous l'effet de motifs raisonnés et explicites. Au contraire, la psychanalyse a montré, d'une façon qui n'est plus contestée aujourd'hui, que notre comportement obéit bien souvent à des forces dont nous n'avons pas conscience. Cette découverte apporte pourtant toujours quelques ennuis à qui ose la rappeler un peu trop sérieusement!

C'est au travers des mots d'esprit, des lapsus, des oublis, des mécanismes de transformation à l'oeuvre dans le rêve, que la nature "langagière" de l'inconscient apparaît de la façon la plus claire. La littérature psychanalytique foisonne d'exemples, et nous renvoyons le lecteur curieux à un ouvrage d'accès facile : S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne. [1]

Ainsi, nous sommes "agis" par le langage : ensemble de signifiants qui se répondent et s'enchaînent dans notre inconscient, déterminant souvent notre comportement, à notre insu. Exprimant cette réalité, qui découlait des observations de sa propre pratique de psychanalyste, J. Lacan a pu ainsi énoncer ainsi cette réalité : "L'inconscient est structuré comme un langage." [6]

Plus radicalement encore, il a montré comment nous nous construisons dès l'enfance, par l'accès progressif au monde symbolique, au travers d'un discours qui nous pré-existe et nous dérobe notre être propre, lui substituant des représentations forgées par le désir de l'Autre [6]. L'Autre, c'est premièrement les parents, qui souhaitent que leurs enfants se conforment à certains modèles. Plus tard, c'est l'institution éducative ou l'entourage professionnel qui construit de nous une image, à laquelle nous devrions nous conformer, et qui trouve son expression dans les mots.

Tant que notre liberté d'action n'est pas trop entravée, tant que notre souffrance est supportable, tant que nous pouvons vivre cette réalité tout en restant raisonnablement adaptés au monde, nous n'éprouvons pas le besoin d'être aidé. Dans le cas contraire, c'est à un écoutant neutre que nous irons confier notre souffrance.

Le rôle de la cure analytique sera alors de permettre à ces symboles d'accéder au champ de la conscience, entraînant au passage une reviviscence douloureuse de traumatismes anciens. Des sentiments agressifs ou amoureux seront, chemin faisant, transférés sur la personne de l'analyste, qui doit donc être "au clair" avec son propre fonctionnement psychique afin de n'être pas dupe. La prise de conscience de ce transfert, son élucidation et sa progressive liquidation, sont les événements déterminants de la cure analytique et de la guérison.

Durant toute la durée de ce travail sur soi, l'analysant procède donc, souvent dans la douleur, à l'abandon progressif de tous les symboles aliénants d'où procédait sa souffrance, se défaisant ainsi d'autant d'éléments de son langage intérieur.

Ce résumé de la technique analytique est extrêmement condensé, et ne peut prétendre épuiser le sujet. Mais il est suffisant pour apercevoir qu'il n'est pas question ici de l'administration par le thérapeute d'un quelconque médicament, ni de l'application d'un traitement physique. Il n'y a que de la parole, et rien d'autre.

J. Lacan ne dit d'ailleurs pas autre chose : "L'expérience psychanalytique a retrouvé dans l'homme l'impératif du verbe comme la loi qui l'a formé à son image. Elle manie la fonction poétique du langage pour donner à son désir sa médiation symbolique. Qu'elle vous fasse comprendre enfin que c'est dans le don de la parole que réside toute la réalité de ses effets." [6]

C'est donc bien ainsi, par la parole, que nous sommes finalement délivrés du langage.

Et c'est aussi à ce point que Zen et psychanalyse commencent à diverger.


Un autre jour, le silence nous délivre de la parole

Car la guérison psychologique n'efface pas toute souffrance. L'universalité de la souffrance est même la constatation qui fonde le bouddhisme. Comme l'exprime avec clarté Dennis Gira : "L'être humain est le seul vivant qui ait la terrible capacité de vouloir de tout son être la seule chose qu'il n'aura jamais, c'est-à-dire un bonheur personnel qui soit durable, alors qu'il le fonde sur les sables mouvants d'un monde foncièrement éphémère." [3]

Abordant le Zen, nous restons des êtres de pensée, c'est à dire de parole, et c'est salutaire, tant il est important d'éviter dans notre quête les deux excès déjà dénoncés par Pascal : "Exclure la raison ; n'admettre que la raison." [8]

Mais à la fin, le Zen reste une énigme, tant que nous voulons n'y appliquer que la raison. Pourtant les questions ne manquent pas, et chaque question que nous pose le Zen est en soi un kôan :

- Un chien a-t-il une nature de Bouddha ?
- Le monde est si vaste. Pourquoi répondez-vous à une cloche et revêtez-vous des robes de cérémonie ?
- Pourquoi l'homme illuminé ne prend-il pas la parole pour s'expliquer ?
- Sans parler, sans être silencieux, comment puis-je exprimer la vérité ?
- Quand tu auras un bâton, je te le donnerai. Si tu n'as pas de bâton, je te le retirerai.
- Sans mots, sans absence de mots, me diras-tu la vérité ?

Cette énumération pourrait continuer à l'infini, tant la littérature zen en est riche. Et à chaque fois, le récit montre comment l'élève se fait réprimander pour avoir pris la question au pied de la lettre, et tenté d'y répondre par une phrase. [4]

La plus radicale d'entre elles revient sans doute à Maître Dôgen : "Si tous les êtres, partout, possèdent la nature de Bouddha à quoi bon pratiquer ?"

On sait à quel long périple cette interrogation l'a conduit. On sait aussi combien de pratiquants on pris cette interrogation comme prétexte pour cesser de pratiquer.

Et pourtant :

Quand cette phrase aura bien pénétré l'esprit du pratiquant, quand il en sera devenu comme obsédé, quand il aura été torturé par l'urgence d'y trouver une réponse, quand il aura cherché en vain cette réponse dans les livres, quand il aura passé la nuit à la méditer au lieu d'aller dormir, quand elle aura suscité mille fois en lui le doute et l'envie de tout abandonner, alors peut-être sera-t-il un jour saisi, sans l'avoir cherché, par la grâce du silence.

Car réaliser combien cette phrase est illogique, absurde, impensable, imprononçable, c'est déjà entrer dans le silence, c'est abandonner le raisonnement et la parole au point où il ne peuvent plus nous aider, et c'est enfin lâcher prise pour de bon.

Et entrer dans le silence, c'est déjà méditer : Il ne reste plus qu'à s'asseoir...

Et, retournant la phrase de Dôgen, il faudra alors dire : "C'est parce que tous les êtres possèdent la nature de Bouddha que nous somme obligés de pratiquer."

Ainsi décrit, le silence semble une notion purement négative : absence de bruit, de mot ou de parole. En réalité, ce n'est pas de ce silence-là dont il est question.

Il s'agit au contraire d'un état de disponibilité qui permet toute communication, même non-verbale, avec ce qui nous entoure. Se taire mentalement quand l'autre parle, c'est souvent mieux comprendre ce qu'il veut dire, et même ce qu'il ne dit pas, ou ne pense pas avoir dit ; c'est lire au travers des mots, c'est laisser s'exprimer librement sa nature, et c'est communiquer plus profondément avec lui.

Les mots rendent mal de la saveur de ce silence particulier, mais la poésie permet toutefois de s'en approcher. Le poète japonais Ryôta [8] nous a laissé un haiku tout à fait saisissant, qui illustre cet état bien mieux que les mots ne pourraient le faire :

Ils sont sans parole,
l'hôte, l'invité,
et le chrysanthème blanc.

Une lecture hâtive de ces quelques vers nous permet facilement d'imaginer deux personnes penchées sur une fleur, dont ils admirent la beauté. Et le poème dit bien cela. Mais il nous dit quelque chose d'infiniment plus important, et qui engage une expérience beaucoup plus profonde : le chrysanthème blanc est lui aussi sans parole.

C'est bien d'un silence à trois qu'il s'agit (mais à cet instant, sont-ils encore trois ?), d'une expérience d'union, de non-dualité, et donc de méditation. Les admirateurs de la fleur font tout à coup un avec elle, et toute parole est alors, pour un bref instant, devenue vaine, inutile et trompeuse.

On le perçoit ici, cette expérience du silence permet d'inaugurer un rapport au monde tout à fait différent celui auquel nous somme habitués.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si aucun manuel de méditation ne nous dit ce qu'il faut faire pour méditer. Au contraire, il est dit et répété qu'il n'y a rien à obtenir par cette pratique, et qu'il ne faut rien y rechercher.

Par contre, tous nous indiquent en détail ce qu'il faut s'abstenir de faire. En suivant ces conseils, avec foi et détermination, en y mettant le temps qu'il faudra, nous entrerons par moments, puis de plus en plus souvent, dans ce silence fécond, qui pourra alors transformer notre vie tout entière, modifiant toutes nos actions, et faisant ainsi que toutes deviennent une forme de zazen.

Georges Toullat (mars 2004). Reproduction interdite.


Bibliographie

1. Sigmund Freud, La technique psychanalytique, Paris, P.U.F., 1953

2. Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot, 1976

3. Dennis Gira, Le Bouddhisme à l'usage de mes filles, Paris, Le Seuil, 2000

4. Ekai, La porte sans porte, trad. Paul Reps et Nyogen Senzaki, Paris, Le dernier terrain vague, 1977

5. Dainin Katagiri, Retour au silence, Paris, Le Seuil, 1993

6. Jacques Lacan, "Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse", in Ecrits, tome 1, Paris, Le Seuil, 1966

7. A. Lemaire, Jacques Lacan, Bruxelles, Mardaga, 1977

8. R. Munier, Haïku, Paris, Fayard, 1978

9. Blaise Pascal, Pensées, Paris, Garnier, 1964

10. Shunryû Suzuki, Esprit Zen, esprit neuf, Paris, Le Seuil, 1977

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