Maître Sheng-yen (1930-2009) est l'un des grands maîtres bouddhistes chinois contemporains. Il reçut la tonsure à l'âge de 13 ans dans un monastère près de Shanghai. Lors de la prise du pouvoir par les troupes communistes, il se rendit à Taiwan où il passa six ans en retraite solitaire. Par la suite, il continua des études doctorales à l'université Risshô de Tôkyô. Maître Sheng-yen est l'héritier des deux grandes traditions du Chan chinois, les écoles Caodong et Linji, et il est le descendant direct du maître Xuyun.
Ce texte présente la méditation comme un approfondissement par étapes successives qui va de la conscience ordinaire jusqu'au samâdhi. Il est paru sous le titre Stages of Emptiness dans l'un des ouvrages de Maître Sheng-yen, Getting the Buddha Mind (New York, Dharma Drum Publications, 1982, pp. 69-72).
Sur le Net :
Dharma Drum Mountain (à Taiwan)
Chan Meditation Center (Ă New York)
Le plein et le vide ont la même dimension. Il n'y a pas de différence entre les deux. Pourtant les pratiquants éprouvent des difficultés à se frayer un chemin du plein au vide. Ils ne peuvent retourner des phénomènes au fondement de leur être : la vacuité. Durant la méditation, nous progressons des phénomènes à la vacuité en évacuant un à un nos états mentaux.
Lorsque vous êtes venus à cette retraite, je vous ai dit de laisser à la porte toutes vos pensées ordinaires et vos habitudes – tout ce qui a trait à votre vie – et de les laisser dehors. C'est la première des évacuations, délaisser ses préoccupations. Le premier jour, j'ai dit que l'environnement était particulièrement bruyant pour notre pratique avec les voitures, les radios, les enfants et j'ai demandé si les bruits du dehors ne vous dérangeaient pas. La plupart d'entre vous ont répondu que non. Mais après, une étudiante a dit qu'elle n'était pas dérangée par les bruits extérieurs mais que seules mes paroles la dérangeaient. Elle ne pouvait s'empêcher d'y penser. Si je disais à tout le monde de se détendre, elle s'asseyait et se disait en elle-même "sois détendue, sois détendue...". Si je disais à tout le monde d'être comme un cadavre, elle pensait "je suis morte, je suis morte...". Elle a dit : "Je peux tout oublier sauf les paroles de Shih-fu". Je vous ai dit de saluer votre coussin et d'avoir comme souhait de bien vous asseoir. Mais une fois assis, oubliez tout cela.
Un autre étudiant tenait encore à son désir de bien méditer. Mais aussi longtemps qu'il y tenait, il ne méditait pas et certainement ne méditait pas bien. La seconde étape consiste donc à évacuer les pensées qui surviennent tout au long de la retraite.
Pour aller plus loin dans l'évacuation, nous devons oublier la technique de méditation elle-même. C'est comme de mettre une paire de lunettes. Tout ce qu'il y a à faire est d'oublier qu'on les porte et de regarder simplement à travers elles. Si vous êtes conscients des verres, à force cela deviendra fatiguant. L'athlète de haut niveau qui passe des années à s'entraîner est un autre exemple. Lorsqu'il joue dans une véritable compétition, il doit oublier ses techniques et ne faire que jouer. Si l'on veut vraiment progresser dans la méditation, à un moment il faut savoir oublier la technique et ne faire que méditer. À peu près tout le monde ici a ce problème et ne peut oublier la technique. C'est parfois un véritable poids.
Lorsque vous utilisez simplement la technique mais n'y pensez pas, vous avez évacué un facteur mental particulièrement important. Mais il faut encore aller plus loin et vous oubliez vous-même. C'est comme un homme obnubilé par la vision d'une jolie fille qui marche dans la rue : il s'oublie et marche en plein dans une flaque d'eau. Quand vous vous oubliez vous-même, vous n'avez plus de point de vue ni de sensation corporelle. Si vous oubliez la technique mais non vous-même, votre corps se sent très à l'aise. Mais lorsque vous vous oubliez vous-même, les sentiments de bien ou de mal-être n'ont plus d'importance et pourtant tout autour de vous continue d'exister avec clarté.
Enfin vous devez même oublier l'environnement. Bien que vos oreilles ne soient pas bouchées, vous n'entendez rien. Bien que vos yeux soient ouverts, vous ne voyez rien. Vous n'avez plus de perception du temps. Ayant évacué les problèmes extérieurs, les pensées actuelles, la technique, le soi et l'environnement, vous êtes entré dans le samâdhi.
Atteindre ce point reste une grande difficulté pour la plupart des gens. Mais si vous pouvez au moins oublier la technique, vous perdrez la conscience du temps et serez bien assis. Si vous vous oubliez vous-même vous pourrez alors ressentir un changement dans votre personnalité. Et si vous pouvez oublier l'environnement et entrer dans le samâdhi vous Ă©prouverez sans conteste une transformation majeure. Vous aurez fait un long chemin des phĂ©nomènes Ă la vacuitĂ©. Ă€ ce moment-lĂ , je vous donnerai une mĂ©thode pour aller au-delĂ encore, jusqu'au stade du "non-moi".
Pour résumer ces cinq niveaux : premièrement, vous videz votre esprit de toutes les préoccupations quotidiennes ; deuxièmement, vous mettez de côté les pensées qui viennent pendant la retraite ; troisièmement, vous oubliez la méthode elle-même ; quatrièmement, vous vous oubliez vous-même ; cinquièmement, vous oubliez l'environnement. Demandez-vous à quel niveau êtes-vous capable d'arriver.
Lorsque je mĂ©dite, je passe les mĂŞmes cinq Ă©tapes. L'un après l'autre, j'oublie le niveau prĂ©cĂ©dent, jusqu'au cinquième. Avant, ce processus Ă©tait très lent. Maintenant, je passe rapidement et aisĂ©ment chaque Ă©tape. Avec la pratique, vous pourrez faire de mĂŞme. Dans les sûtras, il est mentionnĂ© que le Bouddha Shâkyamuni entrait dans diffĂ©rents dhyâna lorsqu'il méditait. Du premier, il passait au second, puis au troisième et ainsi de suite. Mais les niveaux que j'évoque sont ceux qui vont de l'état mental ordinaire jusqu'au samâdhi. Cela n'équivaut qu'au premier dhyâna du Bouddha. Bien entendu, vous n'ĂŞtes pas au niveau du Bouddha, mais le processus revient au mĂŞme.
Avec ces instructions, tout sera clair dans votre pratique. Lorsque vous travaillez dur, vous voyez très clairement dans votre propre pratique. Lorsque vous passez d'une étape à une autre, vous savez très précisément quelle est la prochaine. Les niveaux sont bien identifiés comme les barreaux d'une échelle. Finalement, avec une pratique assidue vous les monterez très vite.
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