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Ne pas tromper les bouddhas, ne pas tromper les êtres, ne pas se tromper soi-même

Une causerie d'Éric Rommeluère


Le Bouddha a dit : "Pour les bodhisattvas [engagés] dans la pratique, il existe trois paroles de vérité : la première, ne pas tromper les bouddhas ainsi-venus ; la seconde, ne pas tromper la multitude des êtres ; la troisième, ne pas se tromper soi-même. Cela signifie qu'une fois qu'on a conçu l'esprit d'éveil, on ne se réjouit plus d'un fruit mineur et bien qu'on soit encore confronté à toutes sortes de souffrances, on n'est plus ni effrayé ni ébranlé. C'est là ne pas tromper et les bouddhas et les êtres et soi-même. Qui plus est, il existe quatre moyens pour ne pas tromper les ainsi-venus : 1) la détermination ; 2) la puissance intérieure ; 3) la force intérieure ; 4) la moralité et la patience. Il existe quatre moyens pour ne pas tromper les êtres : 1) un solide apprentissage ; 2) l'amour qui donne la joie ; 3) la compassion qui se soucie des douleurs ; 4) le secours des êtres. Il existe quatre moyens pour ne pas se tromper soi-même : 1) la détermination ; 2) la détermination réitérée ; 3) un cœur dénué de séduction ; 4) un cœur dénué de duperie."


Myoan Eisai - portraitCe texte merveilleux appartient à la littérature indienne du Grand Véhicule. Il est cité par le maître japonais Myôan Eisai (1141-1215, portrait ci-contre) dans son "Traité sur la restauration du zen pour la protection de la nation" (Kôzen gokoku ron). Eisai était ce maître de l'école Tendai qui, après avoir voyagé par deux fois en Chine, établit avec difficulté un courant zen dans son propre pays. Dans ce Traité composé en 1198 comme un plaidoyer, Eisai répond aux critiques de ses adversaires. À l'appui de ses positions, il allègue de nombreux classiques du bouddhisme indien. Ce passage, dont l'origine reste malgré tout quelque peu obscure, se retrouve dans une version élargie dans les "Extraits des sûtras sur la pratique du Grand Véhicule et les exercices des bodhisattvas" (Daijô shugyô bosatsu gyômon shokyô yôshû, volume XVII, livre 847 du canon sino-japonais).

Il existe donc trois paroles de vérité pour ceux qui sont engagés dans la pratique du bouddhisme : ne pas tromper les bouddhas, ne pas tromper les êtres et ne pas se tromper soi-même. Ces phrases éclatent de puissance. Pour Eisai, il s'agit d'un texte fondateur, un texte sur lequel devraient s'appuyer tous les pratiquants zen.


Ne pas se tromper soi-même. Même si elle vient en troisième position, la règle de "ne pas se tromper soi-même" est sans doute la plus fondamentale. Les deux autres en découlent, on pourrait dire, presque naturellement. Qui pourrait-on tromper, en effet, lorsqu'on est totalement sincère avec soi-même ? L'ordre proposé par le texte - les bouddhas, les autres, soi-même - correspond simplement à l'ordre de préséance habituelle des sûtras indiens.

Commençons donc par là. Ne pas se tromper soi-même est une invitation à éclaircir nos expériences, nos motivations, nos intentions. Car une démarche comme celle du Zen peut aussi être entravée par des faux-semblants. Il y a des questions essentielles que nous ne devrions jamais éviter, bien au contraire. Peu importe que nous soyons engagés dans cette pratique depuis peu ou depuis bien longtemps. Il s'agit de fortes questions : Pourquoi avons-nous adopté le Zen ? Pourquoi méditons-nous ? Que vivons-nous réellement dans la méditation ? Savons-nous même ce qu'est l'éveil ? On pourrait en imaginer d'autres, toutes plus incisives les unes que les autres, celles qui nous mettraient vraiment à nu.

Il ne s'agit pas d'affirmer, mais bien de questionner. À fond. Sans doute pour ses disciples, Changlu Zongze, un maître zen chinois du XIe siècle, rédigea une liste de cent vingt questions. Ce questionnaire était célèbre dans les cercles zen chinois. L'une après l'autre, chaque question pousse le lecteur dans ses retranchements. Jusqu'à l'estocade finale, les deux dernières questions qui ont le même sens, "Avez-vous, oui ou non, réalisé l'éveil ?" Ce sont des questions audacieuses adressées aux chercheurs de vérité. Nous ne devrions pas simplement les lire comme quelques phrases lointaines extraites d'un texte chinois du XIe siècle. Même si elles sont empreintes de l'âme chinoise et qu'elles font parfois référence à un contexte qui n'est pas le nôtre, la plupart de ces questions ont une valeur universelle. Pouvons-nous nous les approprier avec une détermination réitérée à chaque point d'interrogation. De puissantes questions comme : Savons-vous donner la joie ? Ou bien : Savons-nous protéger le mental d'autrui ? À défaut même d'y répondre, pouvons-nous simplement nous les poser ?

Un point mérite d'être souligné : On peut s'engager sur un chemin d'éveil pour masquer ses propres illusions. Au lieu de les éclairer, on finit par les confondre avec l'éveil.


Ne pas tromper les êtres. L'expérience du zen devrait nous conduire à dévoiler une à une nos défaillances, même les plus invisibles. "Ne pas se tromper soi-même" nous engage à oser la transparence totale, à ne pas créer d'artifice. Celui qui vit dans la clarté n'a que faire de se travestir. Nous devrions pouvoir nous mettre à nu totalement, y compris devant les autres, savoir montrer nos grandeurs tout autant que nos faiblesses. Sans arrière-pensées.

En guise de présentation, Gudô Nishijima écrivait dans les premières lignes de To meet the Real Dragon : "Je m'appelle Nishijima. Je suis un bonze. Je suis devenu bonze plutôt tard dans ma vie et comme j'ai mis du temps à trouver ma véritable vocation, j'ai pris le nom de Gudô lors de mon ordination. Gu signifie raide ou stupide, dô, la vérité ou la voie. Même un homme stupide peut trouver la vérité." (To meet the Real Dragon, Windbell Publications, 1984, p. 1).

Nishijima rôshi aime l'impertinence et l'humour, mais au fond il y a plus qu'une boutade. Il marche dans le chemin de ces êtres stupides qui n'ont que faire de paraître, ou encore de se faire une clientèle pour assurer leurs vieux jours. Tout son être exprime cette volonté de ne jamais tromper qui que ce soit. Les enseignants authentiques n'utilisent pas de titre ronflant. Ils ne s'intéressent pas à avoir beaucoup de disciples ni ne jettent de la poudre aux yeux. Ils sont simplement eux-mêmes.


Ne pas tromper les bouddhas. Lorsqu'on s'engage dans la voie du Zen, on noue un rapport particulier avec un groupe, avec un enseignant. Cet engagement se matérialise par la prise des préceptes bouddhiques, on dit aussi l'ordination. Cette ordination inaugure un nouveau rapport entre deux êtres. Celui qui prend ces préceptes témoigne d'une confiance, à la fois dans cette voie et dans tel enseignant. C'est pourquoi, cette ordination ne peut être prise à la légère. Il faut savoir prendre le temps de l'engagement. En retour, celui qui accepte de conférer ces préceptes fera totalement confiance à l'étudiant, dans ses élans et dans ses propres capacités intérieures à vivre ce chemin d'éveil. L'enseignant donnera tout de lui-même. Il n'aura strictement aucune retenue dans son souci de montrer, de démontrer la voie. Qui pourrait décevoir cette espérance ?

Cette confiance mutuelle se mue, jour après jour, mois après mois, année après année en amitié profonde. Elle avance dans l'intimité. L'enseignant et l'étudiant deviennent comme un même cœur transparent. Dans cette tradition zen, si la promesse est bien tenue, l'étudiant recevra finalement la transmission, c'est-à-dire la reconnaissance qu'il a pénétré au cœur de cette voie. On croit, à tort, que la transmission serait une sorte de blanc-seing qui permettrait d'enseigner le Zen. Non, la transmission témoigne simplement que nul ne s'est trompé. Que l'un avait raison de demander, que l'autre avait raison d'accepter. Ceux qui ont reçu cette transmission ont désormais l'assurance qu'ils sont pleinement libres. Certains deviendront peut-être des enseignants, d'autres resteront dans l'ordinaire des jours. Leur silence sera leur liberté.

Dans la tradition zen, le parcours d'un étudiant est balisé par ces deux moments forts, l'ordination et la transmission qui se répondent mutuellement. Cela ressemble un peu au parcours de la psychanalyse. Pour aller au cœur de soi-même, un passeur est nécessaire. On lit, on s'intéresse et puis un jour, cela ne suffit plus. On frappe à une porte, on entre dans une relation singulière dont le seul but est de faire tomber les masques, pour vivre enfin d'une manière authentique. Mais cette relation ne peut perdurer éternellement. La vie authentique ne peut être remise continuellement au lendemain. Un jour, il faudra marcher seul. Une psychanalyse réussie implique une fin. Un jour, l'analyste dit : ne revenez plus, vous n'avez plus besoin de moi. Cette fin n'implique pas que l'on soit immédiatement qualifié pour être psychanalyste à son tour bien qu'il faille avoir suivi une analyse pour prétendre l'être. Le processus est identique dans le zen. Un jour, l'enseignant est heureux et dit : partez, soyez vous-même, vous ne m'en serez que plus fidèle! Si nul ne trompe les bouddhas, on reçoit inévitablement cette transmission.


© Éric Rommeluère, une causerie donnée à Paris en mars 2005. Reproduction interdite. Illustration : Un portrait de Myôan Eisai. [Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf]


Sur le site :

Kôzen gokoku ron, un aperçu sur le "Traité sur la restauration du zen pour la protection de la nation" d'Eisai
Les cent vingt questions, le questionnaire du maître zen Changlu Zongze
L'ordination, une autre causerie d'Éric Rommeluère


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