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Les digressions de mai 2002

L'Édito

BodhidharmaDeux textes d'Éric Rommeluère parus en 1998 dans le magazine Géo mais qui restent d'actualité en ces temps d'après 11 septembre. L'un est consacré au travail d'une enseignante zen dans une unité de soins palliatifs, le second au parcours pour le moins atypique de Claude Thomas, ancien vétéran de la guerre du Viêt Nam, devenu moine bouddhiste. L'une et l'autre travaillent à la paix et à la réconciliation intérieure. À méditer.


Mourir en paix

Pour les élèves qui étudient avec elle le Zen, elle est sensei, un titre de respect qui signifie en japonais "maître" ou "professeur". Pour les personnes qu'elle visite, elle n'est qu'une bénévole qu'on appelle par son prénom. Depuis quelques mois, l'enseignante zen a choisi d'accompagner des mourants, en toute humilité. Chaque semaine, elle se rend dans une unité de soins palliatifs pour consacrer quelques heures de son temps à des malades.

"Au fil des jours, je me rends compte que j'accompagne la vie. Tous ces gens l'apprécient. Ils disent souvent qu'ils voudraient en finir, ils veulent tous en fait que leur souffrance s'arrête. Et ces derniers instants deviennent extrêmement précieux, leur vie est si réduite. Il n'y a plus de détail qui ne soit important – un sourire, un geste, un repas, une fleur. À ce moment-là, il faut être totalement en harmonie avec la personne pour l'accompagner. Quand je rentre dans sa chambre, je bouge déjà comme elle, je réfrène ma propre énergie pour m'accorder avec la sienne qui est somme toute très faible. Je n'ai pas de préjugé sur ce qui se passe ou sur ce qui devrait se passer. Je suis là et je réponds à la situation. Si un paralysé se met à pleurer, j'essuie ses larmes avec un mouchoir. S'il a soif, je lui donne à boire avec une paille, et cette paille, il faut que je l'incline d'une certaine façon pour qu'il n'ait pas mal. Cette manière d'incliner le verre devient alors incroyablement importante pour nous deux." La relation doit être juste. Pour accomplir ces simples gestes attentifs (d'amour ?), une formation est bien entendu nécessaire. Avec l'aide de médecins et de psychologues, les accompagnants doivent apprendre la retenue nécessaire pour ne pas blesser, à être parfois simplement là, sans rien faire, juste à écouter. On ne leur demande pas d'intervenir à tout prix, encore moins de trouver des solutions à des situations parfois dramatiques. Les bénévoles doivent également apprendre à gérer leur propre inquiétude devant la maladie et la mort. "Le malade aura chaque jour un lâcher-prise à faire. Un matin, il ne pourra plus aller seul aux toilettes, un jour, il ne pourra plus couper sa viande avec un couteau, ou tout d'un coup, il ne pourra plus lire, le livre sera trop lourd. C'est parfois très dur. Mais on se doit avant tout d'être une oreille neutre, on n'est pas là pour dire la vérité, non plus pour mentir. S'il veut savoir, on l'aidera à savoir et s'il ne veut rien savoir, on respectera sa volonté. Il s'agit simplement d'écouter, d'être complètement avec lui, avec ses problèmes, son angoisse, sans jamais laisser sa propre angoisse prendre le pas sur son écoute."

Rares sont ceux qui dans l'unité de soins connaissent son parcours bouddhiste. Elle ne s'en cache pas mais n'en parle pas particulièrement. Voit-elle un lien entre sa pratique spirituelle et son travail à l'unité ? "Tout ce que je fais est une pratique. Je ne fais pas de différence entre ma vie de tous les jours, mes activités d'enseignante zen et mes journées de bénévole. Arrivée à cet âge, il me paraît très juste, maintenant pour moi, de regarder les derniers instants de la vie. Je pourrais en effet trouver de nombreux liens avec le bouddhisme, l'humilité, la présence, l'absence de préjugés, voir les choses telles qu'elles sont ; ce sont autant de pratiques bouddhistes. Mais je ne veux pas dire que je suis accompagnante parce que je suis bouddhiste, je le fais parce que je suis moi-même." Tout en rajoutant : "Mais peut-être suis-je moi-même parce que je suis bouddhiste ?"


L'anonymat a été conservé afin de préserver le travail de l'intéressée.


Agir pour la paix

Claude Thomas (1998)Été 1998, sur la Route 60 dans l'État du Nevada. Un groupe de quelques personnes marchent l'allure décidée sous les feux d'un soleil estival. Le peloton accompagne un Américain qui a entrepris de traverser à pied les États-Unis d'est en ouest, de New York à San Francisco. Claude Thomas, tel est son nom, marche ainsi depuis plusieurs mois à raison d'une vingtaine de kilomètres par jour avec pour seul bagage son sac à dos. L'homme n'a pourtant rien du routard ; il ne cherche pas plus à inscrire son nom dans le Livre des Records. Son crâne rasé, et le rakusu, le vêtement traditionnel des moines zen japonais, une sorte de tablier qu'il porte en sautoir, trahissent, pour qui sait la reconnaître, sa qualité de moine bouddhiste. Le groupe s'arrête chaque jour dans une ville ou dans un village, sollicitant un logis pour la nuit – souvent une église – renouant ainsi avec la tradition itinérante des premiers moines bouddhistes qui pérégrinaient dans l'Inde ancienne. Dans son long périple, Claude Thomas porte également une parole. Le soir venu, le voilà qui raconte sa propre histoire et parle du chemin qui l'a conduit de la guerre à la paix.

Claude Thomas vient en effet de bien plus loin que New York. À l'âge de dix-sept ans, il s'engage dans l'armée américaine. Il est rapidement envoyé au Viêt Nam où il est enrôlé dans les unités héliportées. En 1967, son hélicoptère est abattu. Grièvement blessé, il passe neuf mois dans un hôpital militaire. Il n'a que vingt ans lorsqu'il est démobilisé. Mais le conflit n'est pas pour autant fini pour lui. Pendant vingt ans, il sombre dans une vie trop souvent chaotique comme nombre de survivants de cette guerre. La violence devient rapidement son seul mode de communication et la drogue son seul soutien. En 1990 enfin, il entend parler d'un moine bouddhiste qui conduit des retraites pour les vétérans du Viêt Nam. Il ne sait pas alors qu'il s'agit de Thich Nhat Hanh, le célèbre pacifiste vietnamien. Il s'y rend sans trop savoir pourquoi. Cette retraite est un choc. Lui qui ne supportait plus de voir des Vietnamiens, l'un d'entre eux lui parle sans lui manifester de haine ou de ressentiment. Mieux, celui-ci lui donne la main et lui dit qu'il est un témoin essentiel pour les générations futures. Que son parcours l'oblige à jouer un rôle essentiel dans la transformation de la souffrance des hommes. Il ne peut que pleurer en entendant ce discours qui répond enfin à sa douleur.

Depuis cette première rencontre décisive, Claude Thomas a continué son chemin. Il est devenu bouddhiste et l'élève de Bernard Glassman, l'un des plus célèbres enseignants zen américains. Personnage atypique assez méconnu en France, Glassman ne conçoit la compassion bouddhiste que dans le cadre d'un engagement social. À la fin des années 80, il a ainsi monté des programmes sociaux pour les populations défavorisées de New York. Peu conformiste, il invite ses élèves qui appartiennent souvent aux classes aisées à partager la détresse des pauvres. Il a ainsi mis au point des "retraites de rue" où il les emmène manger à la soupe populaire et vivre pour quelques jours la vie des s.d.f. Dans un souci d'adaptation du bouddhisme, Glassman a récemment créé le Zen Peacemaker Order, une communauté religieuse dont les membres s'engagent à œuvrer pour la paix, qu'elle soit intérieure ou mondiale. Renoncer aux idées préconçues, répondre de la joie et de la souffrance du monde, se guérir soi-même et guérir autrui sont les trois principales règles des Peacemakers. Un programme qui ne pouvait qu'interpeller Claude Thomas. Il fut parmi les premiers à devenir l'un de ces "faiseurs de paix". Son intronisation eut lieu non dans un centre ou dans un temple bouddhiste, comme la tradition le voudrait, mais sur les ruines de l'un des fours crématoires du camp d'Auschwitz-Birkenau en Pologne. Nul esprit de provocation ou de récupération dans un tel geste, juste la volonté de témoigner de l'amour et de la compassion en ce lieu d'extrême souffrance.

Depuis lors, Claude Thomas continue ce processus de guérison pour lui-même et pour les autres. Marcheur infatigable, il a déjà fait un pèlerinage qui l'a conduit d'Auschwitz à Hiroshima. Ancien soldat rompu aux situations difficiles, il n'a pas hésité à se rendre dans l'ex-Yougoslavie en guerre. De ce voyage, il raconte une anecdote. Un jour, il avise un homme en arme. Il se présente comme bouddhiste et lui propose d'acheter sa mitraillette. L'homme d'abord interloqué lui répond qu'il ne peut s'en défaire, l'arme est la garantie de sa survie. Il lui propose alors de lui acheter ses munitions, l'homme refuse encore. Celui-ci consent enfin à lui vendre une balle, une seule, au prix fort. Claude sourit et la lui achète. Au moins un homme, une femme ou un enfant ne mourra pas par elle.

Si ne pas tuer est le premier des commandements bouddhistes, Bernard Glassman a reformulé ce précepte, dans ses rituels, en "reconnaître que l'on n'est pas différent d'autrui". Jour après jour, sur la route qui le mène vers la Californie, Claude Thomas, l'ancien killer – comme il se qualifie lui-même – enseigne que cette reconnaissance est le premier pas vers la réconciliation intérieure. Ce soir, il s'arrêtera dans une ville où on lui a demandé de venir parler de son expérience à des écoliers américains. Les voies du bouddhisme empruntent parfois des chemins inattendus.

[Télécharger et imprimer le portrait au format pdf]

À visiter sur la toile : Zaltho Foundation, le site de Claude Thomas


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