TAIGEN LEIGHTON : ZAZEN COMME QUESTIONNEMENT
Accueil - Sommaire
La méditation
Activités - Groupes
L'enseignant
Toucher le cœur
Les rendez-vous
Qu'est-ce que le Zen ?
Orient-Occident
Essais
Causeries
Enseignements
Textes classiques
Télécharger
Le réseau BASE
Le blog zen
Bodhidharma
Dôgen
Gudô
Jiun sonja
Album photos
Expériences
Digressions
Humour
Bouquins
FAQ
Poésie
Section membres
Mises à jour
Plan du site
Nous soutenir
Mentions légales


Une recherche rapide par mot-clé sur le site ?



Recevoir la lettre d'information ainsi que la liste des mises à jour mensuelles :







Zazen comme questionnement

Un enseignement oral de Taigen Leighton


Taigen Dan Leighton est un prêtre zen dans la lignée de Suzuki rôshi (1904-1971). Il enseigne à Berkeley au sein de la Graduate Theological Union et dirige le Mountain Source Sangha, un groupe de méditation situé dans la région de San Francisco en Californie. Il est l'auteur de Faces of Compassion: Classic Bodhisattva Archetypes and Their Modern Expression. Il a également collaboré à la traduction anglaise de nombreux textes zen qui ont été publiés sous les titres suivants : Cultivating the Empty Field, Dogen's Pure Standards for the Zen Community, The Wholehearted Way et Extensive Record of Eihei Dogen.

Reproduit et traduit avec l'aimable autorisation de Taigen Dan Leighton. Traduction française Chantal Jolivet. Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf.

Sur le net : Mountain Source Sangha


Dans la tradition Sôtô et dans le style de la lignée de Suzuki rôshi, notre méditation est plutôt douce. On s'installe dans la méditation, on s'assoit tout simplement. Nous essayons de trouver une posture, une assise qui puisse être maintenue. Nous trouvons même que, si cela n'est pas à proprement parler "confortable", c'est tout au moins un espace paisible et accueillant dans lequel nous pouvons maintenir la posture. Dans notre méditation, nous soulignons le contact quotidien avec cet espace de zazen. Aussi, je ne passe pas parmi vous en vous frappant d'un bâton si vous êtes endormis. Il y a des branches du zen dans lesquelles zazen se pratique "au bord du coussin", et c'est parfois excellent pour certaines personnes.

Mais ici nous pratiquons juste une assise douce, le dos droit. Je ne pense pas que zazen relève de l'athlétisme ou de la compétition, comme si quelqu'un demeurant dans la position la plus difficile, le plus longtemps possible, serait plus éveillé. Mais en même temps notre posture douce, stable, ne doit pas être apathique ou agitée. Et même si nous soulignons qu'il ne s'agit pas d'en retirer quoi que ce soit, il ne s'agit pas non plus de passer son temps inutilement.

Aujourd'hui, je voudrais parler du zazen en tant que questionnement, comme investigation. Même si nous méditons calmement, avec douceur, une question se trouve au cœur même de notre assise. Peut-être n'est-ce pas une question mais simplement l'acte de questionner.

Que faisons-nous ici ? Vous tous, ici, avez une question en arrière-plan de votre désir de pratiquer cette méditation bouddhiste, vous venez et vous vous asseyez face au mur pour l'examiner : Qu'est ce que cela ? Dôgen, dans plusieurs de ses enseignements, dit des choses telles que : "Comprenez vous totalement ? Je vous en prie, étudiez cela à fond. Je vous en prie, allez au cœur même de cette question." Il y a une question que nous devons les uns et les autres examiner.

Dans cette pratique du questionnement, l'essentiel pourtant, n'est pas d'obtenir une réponse. Nous nous tenons assis le dos droit, bien centré. Et si ce n'est pas confortable nous sommes tout au moins dans un espace où nous nous sentons à l'aise et paisible. Et pourtant il y a comme un problème, comme une question, quelque chose que nous examinons. Comment pratiquons-nous le questionnement ? Non pas qu'il y ait une seule façon de le faire, car nous avons tous notre propre version de la question. Mais nous devons reconnaître qu'il y a une question. Comment vivons nous cette vie ? Comment prenons-nous soin de ce monde en fonction de nos propres problèmes ou des problèmes que nous partageons ? Il y a de multiples questions. Un aspect de cette pratique de méditation est de faire face à la question, d'étudier le questionnement, d'approfondir notre question ainsi que de permettre aux questions d'émerger. Mais ce n'est pas obtenir une réponse.

Je voudrais donner quelques exemples. J'ai déjà parlé des vers de Bob Dylan : "Une question dans vos nerfs est allumée, mais vous savez qu'aucune réponse ne convient, pour vous satisfaire, assurez vous de ne pas l'abandonner, de la garder à l'esprit et ne de pas l'oublier, car ce n'est pas à lui, ni à elle, ni à eux, ni à cela que vous appartenez." (A question in your nerves is lit, yet you know there is no answer fit, to satisfy, insure you not to quit, to keep it in your mind and not forget, that it is not he or she or them or it that you belong to. Dans It's alright Ma, I'm only bleeding). Le début, "une question dans vos nerfs est allumée", c'est simplement le fait que vous êtes ici, prêts à vous rencontrer vous-mêmes dans l'assise droite. Il y a une question qui dépasse les questions dont vous pouvez être conscients. Il y a une question qui se trouve dans vos nerfs, qui se trouve dans vos os et dans votre moelle. Cela ne signifie pas que vous devez être agités, contrariés pour trouver la réponse à cette question. L'essentiel est de rester là, simplement, avec un tel questionnement.

Dylan dit : "Vous savez qu'aucune réponse ne convient". La réponse n'est peut-être pas si importante. Il s'agit d'être prêt à se tenir droit et là, dans ce corps et cet esprit, simplement en étant vous-mêmes, sans essayer de devenir quelqu'un d'autre. Simplement être dans ce monde et dans cette vie, avec tous ses problèmes, prêt à affronter cette question. On n'obtient pas nécessairement de réponses, bien qu'en méditant de fortes prises de conscience puissent parfois surgir. Nous avons ces intuitions et cela fait partie du processus du questionnement. Mais ce n'est pas le genre de réponse que vous pouvez écrire sur un bout de papier ou afficher sur le mur et voilà! Nous apprenons à appréhender cet espace où l'on affronte ces questions, dans ses nerfs. C'est allumé, ça brûle. Cela ne va pas vous satisfaire, mais vous pouvez le garder à l'esprit et ne pas l'oublier. Pratiquer est une façon d'entrer en rapport avec ce questionnement et de danser autour.

Dans la tradition zen, l'étude des kôan est l'une des expressions de ce questionnement. Dans le zen, c'est une pratique formelle où l'on travaille sur une histoire ou sur une phrase traditionnelle. Quelquefois j'ai proposé à certains d'entre vous de travailler sur ces histoires traditionnelles, ou bien j'en ai parlé ici. Comment restez-vous attentifs à ces questions ? De ces histoires traditionnelles ou de ces dialogues zen avec lesquels parfois nous méditons, Dôgen nous dirait "je vous en prie, pénétrez totalement cela" ou "étudiez complètement cela".

Mais il y a également d'autres questions qui émergent dans notre cœur, dans notre propre corps et esprit, dans le monde qui nous entoure. Des questions qui apparaissent au sein de notre famille, de nos relations, parmi les personnes proches. Les questions qui surgissent de nos difficultés à trouver notre point d'ancrage, de nos propres difficultés à être soi-même dans ce corps et cet esprit, on les appelle genjô kôan, le kôan tel qu'il se manifeste dans notre propre vie. Qu'est ce qui apparaît devant moi ? Tandis que nous sommes assis, des pensées, des émotions, tout notre monde apparaît devant nous et non pas simplement le mur, le sol ou les chaises. Mais en étant là, assis droit, attentif, avec douceur, dans une posture que vous pouvez maintenir, dans une posture où vous vous sentez l'aise, alors nous pouvons regarder : "Qu'est-ce qui vient ainsi ?" Comment se fait-il que cela, juste cela, est là devant moi ? Qu'est ce que c'est ? Comment dois-je l'approcher ? Qu'est ce que j'en fais ? Encore une fois, il ne s'agit pas de figer la question, de trouver une solution, d'obtenir une réponse, mais d'être là, dans la relation avec cette question, ou avec d'autres questions qui naîtront des questions. Notre façon de réagir, de travailler et de danser avec ces questions n'est pas une réponse. Et pourtant il se peut que quelque chose émerge, quelque chose qui ne repose pas sur notre conscience humaine limitée. Cela émerge d'une couche plus profonde avec laquelle nous sommes en contact lorsque nous sommes assis le dos droit, prêts à nous reposer dans cet espace, en trouvant notre propre manière de préserver chaque jour cet espace. Encore une fois, j'insiste pour que cette assise soit quotidienne. Même s'il ne s'agit que de dix ou de quinze minutes, entrez en contact avec cet espace où vous êtes prêts à vivre la question. De là nous vient une façon de faire face à la vie qui est plus profonde que les idées sur ce que nous sommes, plus profonde que notre conscience humaine limitée sur ce qu'est le monde.

À ce propos, un enseignement traditionnel bouddhiste de l'école tendai dit que dans chaque instant il y a trois mille mondes. Ou parfois ils disent que dans chaque pensée il y a trois mille mondes. Je pense qu'il s'agit d'une manière d'envisager la question qui est notre zazen, trois mille mondes en une seule pensée. Chacune de nos pensées, si nous y pensons, si nous essayons de la remonter, est reliée à tant de choses dans notre vie, à tant de choses dont nous ignorons l'existence dans notre vie, qu'en fait, c'est vrai, si vous y pensez, dans chaque moment, dans chaque pensée, il y a trois mille mondes. Évidemment, trois mille a le sens de trois cent mille ou de trois cents millions.

Si on parle de zazen en tant que question, en tant qu'investigation, il y a dans chaque moment ou dans chaque pensée, trois mille mondes. Et chacun de ces mondes est une question.

Comment pouvons-nous faire face et inclure ces trois mille mondes ? Hier, j'ai reçu un enseignement sur le questionnement d'un poème de Wallace Stevens qui s'intitule "Questions et remarques". Je vais vous le lire du début à la fin puis je commenterai deux parties.

Au milieu des mauvaises herbes de l'été, sort cette pousse verte pourquoi.
Le soleil malade souffre et puis retourne, ohé.
À l'horizon parmi d'adultes enfantillages
Son feu ne parvient pas à percer la vision qui le perçoit,
Échoue à détruire de vieilles croyances,
Sauf que le petit-fils le voit tel qu'il est,

Peter le voyant qui dit," Maman, qu'est ce que c'est ?"
L'objet qui s'élève avec tant d'éloquence.
Mais pas pour lui. Sa question est entière.

C'est la question de ce dont il est capable,
C'est l'extrême, l'expert à l'age de deux ans
Il ne montera jamais le cheval rouge qu'elle décrit.

Sa question est complète car elle contient
Sa déclaration ultime. Ce sont ses atours à lui,
Son propre spectacle, son cortège et son faste.

Autant que le néant le permette... Entend-le.
Il ne dit pas,"Maman, ma maman, qui es-tu ?"
À la façon dont font les tout jeunes enfants et les vieillards.

In the weed of summer, comes this green sprout why.
The sun aches and ails and then returns halloo
Upon the horizon amid adult enfintillages.
Its fire fails to pierce the vision that beholds it,
Fails to destroy the antique acceptances,
Except that the grandson sees it as it is,

Peter the voyant who says, "Mother what is that"?
The object that rises with so much rhetoric,
But not for him. His question is complete.

It is the question of what he is capable
It is the extreme, the expert aetat. 2.
He will never ride the red horse she describes.

His question is complete because it contains
His utmost statement. It is his own array,
His own pageant and procession and display,

As far as nothingness permits... Hear him.
He does not say, "Mother, my mother, who are you,"
The way the drowsy, infant, old men do.

(Wallace Stevens, The Collected Poems, pp. 462-463)

Les questions sont des remarques. Dans les mauvaises herbes de l'été, au milieu de notre vie, arrive cette pousse verte, pourquoi ? Des questions surgissent moment après moment. Le soleil malade souffre et puis retourne. Son feu ne parvient pas à percer la vision qui le perçoit, échoue à détruire de vieilles croyances, sauf que le petit-fils le voit tel qu'il est. Il y a cet esprit du questionnement, le questionnement qui est notre zazen, qui est comme le questionnement d'un enfant de deux ans, ou de quatre ou de six ans encore. C'est un questionnement élémentaire qui provient d'une couche plus profonde que nos idées sur ce que nous sommes. C'est juste cette pousse verte, pourquoi ? Pendant que nous sommes assis, moment après moment, ce genre de questionnement est au cœur de notre assise. Nous n'avons pas nécessairement à réfléchir à ces questions. Il y a des moments au milieu de notre méditation où il n'y a pas tant de pensées. Quand il y a simplement ce calme, l'apaisement. Et c'est bien. Nous en avons besoin pour garder notre questionnement. Mais même dans cette absence de questionnement, il y a cette question dans nos nerfs qui est allumée.

Quelquefois le monde nous porte au questionnement de façon fulgurante. Quelqu'un tombe malade. Vous perdez un être cher. Notre maison brûle. La guerre est déclarée, ou bien éclate sans être déclarée. Et pourtant il y a cette question fondamentale, avant même que le soleil ne se lève, seulement cette pousse verte, pourquoi ?

Wallace Stevens parle de son petit-fils qui voit le soleil et dit : "Maman, qu'est-ce que c'est ?" L'objet qui s'élève avec tant d'éloquence. Mais pas pour lui. Sa question est entière.

Vous n'avez pas besoin d'avoir une réponse à votre question. Être là au centre de la question est complet. Je crois que ce qui me ramène chaque jour au zazen, c'est cette possibilité, ce sentiment, ce goût de la complétude. En fait, les choses sont bien telles qu'elles sont. Mais ce sentiment de complétude, de totalité, a quelque chose à voir avec cette question, cette question complète, cette pousse verte, pourquoi ?

Wallace Stevens continue : "C'est la question de ce dont il est capable. C'est l'extrême, l'expert à l'age de deux ans. Il ne montera jamais le cheval rouge qu'elle décrit." Le petit-fils ne va peut-être pas avaler l'histoire du chariot d'Apollon qui traverse les cieux.

Il y a un passage de William Blake au sujet du soleil. Il se demande si le soleil est juste un disque d'or dans le ciel, une simple pièce d'or ou si le soleil radieux est au contraire un évènement merveilleux avec tous les hosannas des anges qui pleurent d'exaltation ? Toute vie vient du soleil. En ce jour nuageux nous pourrions souhaiter le soleil. Et Blake en appelle à ce soleil visionnaire, exalté, miraculeux. Mais si vous vouliez rester sur ce soleil, il vous brûlerait entièrement.

Stevens dit : "C'est la question de ce dont il est capable." Sa question est entière parce que elle contient sa déclaration ultime. Dans le zen, le travail sur un kôan porte souvent sur une déclaration qui est une question, et une question peut être une déclaration. Les phrases que nous étudions dans ces anciennes histoires zen sont parfois une façon d'exprimer ou de formuler ce questionnement dans sa totalité. Cette totalité peut se trouver dans une question qui est une déclaration ultime.

Et puis il y a ces vers merveilleux où Wallace dit de son petit-fils : "Ce sont ses atours à lui, son propre spectacle, son cortège et son faste." J'ai parlé quelquefois du zazen comme une forme d'expression, comme d'une performance artistique. C'est aussi un questionnement. Comment exprimons nous notre question, la question dans notre vie, la question dans notre monde, par zazen. Bien sûr, ce n'est pas seulement quand vous êtes assis, ici, à attendre que la cloche sonne, en ajustant votre posture. Quand, le dos droit, nous sommes dans cet espace du questionnement, ce questionnement transperce et atteint toutes les autres parties de notre vie. Il opère de cette façon. "Ce sont ses atours à lui, son propre spectacle, son cortège et son faste. Autant que le néant le permette... Entend-le."

L'un des aspects de ce zazen en tant que questionnement et investigation consiste à trouver un espace dans lequel nous consentons à être présent à cette question. Bien sûr, chaque question en contient trois mille autres. Et une bonne question vous donnera plus de questions. Ne vous inquiétez donc pas pour les réponses. Les réponses viennent aussi quelquefois, mais en même temps elles apportent encore plus de questions.

Pouvons-nous vivre dans l'impermanence ? Pouvons-nous vivre dans l'incertitude ? Pouvons-nous vivre dans une vie qui est une question ? Dans la construction de votre vie, on essaye de stabiliser les choses, d'en prendre soin. Nous faisons tous de notre mieux pour que tout ça marche, et c'est là notre travail d'être humain. Et pourtant, nous ne savons pas ce qui va se passer. Tout pourrait disparaître à la seconde. C'est une question. La question est entière. Ce sont ses atours à lui. Et c'est très bien de vivre dans une vie faite d'impermanence. En fait, il vaut mieux qu'il en soit ainsi, parce que c'est là où nous nous trouvons.

Je voudrais en dire un peu plus sur zazen, à partir d'une histoire de deux vieux moines chinois, Mazu dont le nom signifie "ancêtre-cheval", et Nanyue. Mazu était un grand maître zen. D'après certaines sources, il eut 139 disciples qui atteignirent l'éveil. Mais cette histoire se passait alors qu'il n'était qu'un jeune moine. Il était assis en zazen et son maître Nanyue lui dit : "Que fais tu assis là ?" Je vous ferai part seulement d'une toute petite partie du commentaire de Dôgen, mais je vais d'abord vous raconter toute l'histoire (C'est un extrait du Shôbôgenzô de Dôgen, Zazenshin, "Le précis de zazen").

Nanyue, le maître, demande à Mazu qui est assis en zazen : "Qu'essaies-tu de faire assis en méditation ?" et Mazu dit : "J'essaie de faire un bouddha". Ou nous pourrions traduire : "J'essaie de devenir un bouddha." Alors son maître Nanyue qui l'a entendu ramasse une tuile et commence à la polir. Finalement, Mazu le remarque et lui demande : "Maître, que faites-vous ?" et Nanyue répond : "Je polis cette tuile pour en faire un miroir." Mazu dit : "Comment pourriez-vous faire un miroir en polissant une tuile ?" Et Nanyue dit : "Comment pourriez-vous faire un bouddha en faisant zazen ?"

Alan Watts se servait de cette histoire pour ne pas s'asseoir en zazen. Mais Dôgen tourne cela différemment. Il dit : Oui, vous devriez polir une tuile pour en faire un miroir, et oui, vous devriez vous asseoir en zazen pour devenir un bouddha. Nous avons, quelquefois chanté le Fukanzazengi, l'un des premiers écrits de Dôgen, "Les recommandations universelles pour zazen," dans lequel il dit : "N'ayez aucun dessein de devenir un Bouddha."

J'ai parlé des trois mille questions présentes dans chaque question, des trois mille mondes présents dans chaque pensée, dans chaque instant. Mais Dôgen parle un peu ici de cette question fondamentale, "qu'est ce que le bouddha ?" Cela peut tout simplement vouloir dire : Comment dois-je vivre cette vie ? Comment puis-je être éveillé ? Comment puis-je être sage, compatissant et aimable ? Comment puis-je dépasser toutes les mesquineries humaines en moi ainsi que l'avidité, la colère, et l'illusion ? Donc il y a cette question, quelque part dans la bouteille aux trois mille questions.

Je voudrais lire une toute petite partie du commentaire de Dôgen, juste au début de cette histoire, car cela concerne notre questionnement en zazen. Le maître Nanyue dit à Mazu : "Quelle est ton intention ou qu'imagines-tu faire en zazen ?" Comme réponse, Dôgen dit : "Nous devrions tranquillement réfléchir et aller au cœur de la question." Vous devriez savoir de quoi il s'agit quand vous êtes assis droit. Que se passe-t-il pour vous ? Avez-vous un dessein supérieur au zazen ? Y a-t-il dans ce moment quelque chose qui vous entraîne au-delà du zazen qui n'ait pas encore été réalisé ? Ou ne devriez-vous rien viser du tout ? C'est une autre possibilité. Cela pourrait être la voie pour devenir bouddha. Chacune de ces questions est une vraie question. Il y en a toute une série. Et il dit : "Au moment même où vous êtes assis en zazen, quelle sorte de but, quelle sorte de dessein ou d'intention se manifeste ? Nous devrions questionner cela avec force et dans le détail." Une fois de plus, cette assise est un questionnement, un examen minutieux. Un aspect peut consister à y réfléchir, à s'interroger d'une façon habituelle pour essayer d'y comprendre quelque chose. Mais c'est plus profond que cela. C'est cette question inscrite dans vos nerfs, ce ne sont pas juste des réponses.

Il dit : "Ne restez pas là planté dans l'amour du dragon sculpté. Nous devons aller plus loin et aimer le véritable dragon." Il y a une histoire au sujet d'un homme en Chine qui adorait les peintures et les sculptures de dragon et toute sa maison était remplie de ces images de dragon. Alors une fois un dragon qui volait au dessus de cette maison et qui avait entendu parler de ce type qui aimait vraiment les dragons se dit : "Tiens, je vais y passer et lui rendre une petite visite, il en sera très heureux." Alors le dragon est descendu et a passé sa tête dans l'embrasure de la fenêtre. Et l'homme s'est mis à hurler de terreur. Et Dôgen dit : "Ne restez pas là planté dans l'amour du dragon sculpté. Nous devons aller plus loin et aimer le véritable dragon." Alors quand vous êtes assis au centre de la question, vous ne savez jamais ce qui peut surgir. Vous ne savez jamais qui va mettre sa tête à la fenêtre. C'est une autre façon de parler de ce bouddha auquel Dôgen nous recommande d'aspirer.

Il dit : "Vous devez étudier le fait que, à la fois, les dragons sculptés et les véritables dragons ont le pouvoir de former les nuages et la pluie." Les dragons sculptés ont donc également de grands pouvoirs. Peut-être pensez vous que votre zazen n'est pas le véritable zazen, que c'est juste une image de zazen. Il se peut que vous ayez ce genre de réflexion. J'ai entendu certaines personnes dire que leur pratique n'est pas très bonne. Cela arrive. Mais même ce dragon sculpté possède un immense pouvoir. Dôgen dit : "N'accordez pas de valeur mais ne dénigrez pas non plus le lointain. Habituez-vous et familiarisez vous avec le lointain. Ne dénigrez pas mais n'accordez pas de valeur non plus avec le proche. Habituez-vous et familiarisez-vous avec le proche." Que l'on soit proche ou éloigné, quelle que soit notre idée du bouddha, regardons-la. Familiarisons-nous avec sa proximité ou son éloignement. C'est cette façon de questionner, de regarder, de voir, de rechercher, qui constitue notre méditation. Dôgen dit : "Ne prenez pas les yeux à la légère et ne leur attachez pas trop de poids. Ne donnez pas trop de poids à vos oreilles et ne les prenez pas trop à la légère... les yeux et les oreilles clairs et perçants." Nous nous asseyons les yeux ouverts. Nous regardons le mur, le sol ou les chaises. Nous sommes assis les oreilles ouvertes. Nous sommes prêts à entendre les sons de la souffrance du monde, ceux des gens qui errent dans les rues de Bolinas, ceux de nos propres questionnements et incertitudes.

Puis Mazu dit :"Je cherche à devenir un bouddha." C'était sa réponse lorsque son maître lui a demandé : "Que cherches-tu lorsque tu es assis en zazen ?" Dôgen dit au sujet de cette phrase : "Nous devrions clarifier et pénétrer ces mots. Que signifie devenir bouddha ? Est-ce que devenir bouddha signifie que le bouddha nous fait devenir bouddha ? Est-ce que devenir bouddha veut dire que nous faisons d'un bouddha un bouddha. Est-ce que devenir bouddha, c'est la manifestation d'un ou deux visages de bouddha ? Est-ce que chercher à devenir bouddha, c'est se dépouiller du corps et de l'esprit ? Ou est-ce chercher à devenir bouddha dépouillé du bouddha ?" On peut passer toute une vie sur chacune de ces questions. Toutes ces trois mille questions sont là dans votre assise, elles sont là quelque part dans la question que vous vous posez sur votre propre vie.

Dôgen dit : "Chercher à devenir bouddha, cela signifie-t-il que bien qu'il y ait a dix mille méthodes (portes du dharma) pour devenir bouddha, le devenir bouddha continue-t-il d'être enlacé avec ce désir ?" Bien qu'il y ait dix mille façons d'avoir en nous cette pousse verte, "pourquoi ?", cette pousse verte, bouddha, continue d'être enlacée avec notre but et notre dessein. Alors où allons-nous nous asseoir en relation avec la question ? Comment allons nous être présent au centre même de cette simple confrontation, "qu'est ce que c'est ?" Quelle est la situation ? Comment vivre avec ça ? Comme vais-je répondre à ce problème particulier ? Dans chaque pensée et chaque question, il y a trois mille questions, trois mille mondes. Quand nous sommes prêts à être ici avec tout notre être, nous sommes assis dans la totalité et l'émerveillement. "Qu'est ce qui peut bien se passer pour moi ?" Nous ne pouvons éviter ces trois mille mondes. Nous ne pouvons éviter cette pousse verte, pourquoi ? Et pourtant, pour revenir à Wallace Stevens, la question est complète car elle contient notre déclaration ultime. Ce sont nos atours, notre propre spectacle, notre cortège et notre faste.

C'est donc un questionnement tout en douceur. C'est le genre de questionnement que le Colorado fait au Grand Canyon siècle après siècle. D'une façon douce mais persistante. Pouvons nous arrêter une guerre en Irak ? C'est une question, mais il y en a tellement d'autres après celle-ci. Comment vivons-nous ensemble dans la paix et la justice ? Comment prendre soin simplement de sa famille, de ses proches, de ses relations de travail, tout ça, aussi bien que de la paix et de la justice dans notre pays. Comment s'asseoir en zazen avec la paix et la justice en notre corps et notre esprit ? Toutes ces questions sont présentes dans chacune d'entre elles. Il ne s'agit même pas d'avoir une seule bonne réponse pour chacun d'entre nous. Il ne s'agit même pas d'obtenir des réponses, il s'agit de comment exprimons-nous la question. Ma façon de l'exprimer et la vôtre, et la vôtre, vont chacune être différente, et demain elles vont changer. Mais si nous sommes là au sein même de cette question, alors nous pouvons continuer. Et si nous avons peur, c'est bien aussi, c'est une autre question.


© Taigen Leighton, janvier 2003, Un Zen Occidental pour la version française. Reproduction interdite. [Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf]


Vous êtes ici : Sommaire général >>> Enseignements >>> Zazen comme questionnement (Taigen Leighton)



| Accueil - Sommaire | La méditation | Activités - Groupes | L'enseignant | Toucher le cœur | Les rendez-vous | Qu'est-ce que le Zen ? | Orient-Occident | Essais | Causeries | Enseignements | Textes classiques | Télécharger | Le réseau BASE | Le blog zen | Bodhidharma | Dôgen | Gudô | Jiun sonja | Album photos | Expériences | Les digressions | Humour | Les bouquins | La foire aux questions | Poésie | Section membres | Les mises à jour | Le plan du site | Nous soutenir | Mentions légales |