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Impressions d'Eiheiji

par Robert Myers


Robert Myers nous livre ses impressions, après avoir participé en mars 2003 à une retraite pour laïcs au monastère d'Eiheiji, le principal monastère de l'école sôtô fondé par Dôgen au treizième siècle. Robert a vécu au Japon une quinzaine d'années, mais ce n'est qu'une fois réinstallé en Californie qu'il s'est initié à la méditation zen (au Zen Mountain Center près de Los Angeles où il habite). S'il est sensible aux efforts du temple qui propose un emploi du temps proche de celui des moines, il n'en demeure pas moins interloqué par l'atmosphère contraignante de la vie des moines japonais. Traduction française Chantal Jolivet.

La version originale Bob's stay at Eiheiji [lien externe]
Le reportage en images de Bob à Eiheiji [mars 2003 - 43 superbes photographies - lien externe]
Le site du Zen Mountain Center [lien externe]

Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf.



D'énormes flocons de neige descendaient en dérivant langoureusement du ciel, s'amoncelant négligemment sur les grosses branches des cèdres centenaires. Dans les étangs remplis de lotus, un chœur d'invisibles grenouilles croassaient leurs chants de désir. La présence de Dôgen zenji, le fondateur légendaire du sôtô zen, imprégnait les anciennes salles d'Eiheiji, le temple qu'il fonda il y a plus de 750 ans.

EiheijiSoit, d'accord j'ai inventé l'histoire des grenouilles. En fait, je n'ai pas entendu la moindre grenouille du tout. Mais il neigeait vraiment, bien que ce ne soit pas très surprenant puisqu'on était en mars et qu'Eiheiji se trouve dans l'actuelle Fukui, dans la région qui s'appelle Hokuriku, où Kawabata a situé son fameux roman Yukiguni, "Le pays enneigé". Et il y avait vraiment de grands cèdres, notamment le fameux godai sugi situé juste en face du sanmon, la grande porte, que l'on suppose être de l'époque de l'un des successeurs immédiats de Dôgen.

Quant à la présence invisible de Dôgen, je ne l'ai pas non plus vraiment ressentie très fort. Je voyais surtout une bande de moines mangeant, dormant et s'asseyant. Ils s'adonnent à ces trois activités sur un unique tatami qui leur est assigné dans le sôdô, la salle des moines, un bâtiment sombre et renfoncé dont on dit qu'il a été rénové un siècle. J'espère bien qu'ils ne vont pas encore attendre cent ans pour le rénover à nouveau! Nous n'y sommes pas restés, mais cela avait l'air froid. En fait, ce bâtiment est l'un des plus vieux d'Eiheiji. Aucun ne remonte même approximativement à l'époque de Dôgen, la plus ancienne construction étant celle du sanmon qui a 250 ans. Il se trouve que les bâtiments en bois brûlent et s'écroulent. À vrai dire, il semblerait que l'emplacement actuel ne soit même pas celui du premier Eiheiji, on l'aurait déplacé à un certain moment.

La configuration générale d'Eiheiji prend la forme d'un Bouddha assis, avec le sôdô qui correspond au coude droit. Le hattô (la salle du dharma) se trouve au sommet de la colline et correspond à sa tête. La grande salle du Bouddha se trouve plus ou moins au centre et c'est son cœur. Son coude droit est figuré par le sôdô et le gauche par les cuisines (daikuin), tandis que la salle des bains (tôsu) et les bains publics sont ses genoux. Le sanmon est à la place des mains.

Pendant que l'on fait le tour, je mentionnerais que les bâtiments sont tous reliés entre eux par des corridors couverts, dont le plancher brille à force d'être astiqué tous les jours par les moines pendant le samu [le travail collectif]. Les autres bâtiments du complexe, hormis les nouveaux bâtiments où nous sommes restés, comprennent un petit temple dédié à Dôgen zenji où ses cendres sont conservées, la résidence du zenji âgé de 102 ans, où nous avons remarqué une pile incongrue d'ours en peluche installés dans la salle d'attente, et les bâtiments pour les affaires funéraires qui sont au cœur du modèle économique de l'ensemble des temples zen au Japon.

J'ai visité Eiheiji dans le cadre d'un programme intitulé sanzen, une sorte de version pour les nuls de quatre jours intensifs, destiné aux laïcs. Je me dois d'apprécier l'effort des gens d'Eiheiji qui permet à des personnes comme moi de s'y rendre et de faire l'expérience de la vie dans un monastère. Ils essayent honnêtement de vous donner une idée du rythme et du style de la vie monastique. Bien sûr, vous ne vivez pas vraiment parmi les moines, vous résidez dans leur nouveau et laid bâtiment administratif et de réception qui s'appelle le kichijokaku. Le logement est spartiate (des futons par terre), mais au moins le bâtiment est chauffé, à la différence du sôdô où la plupart des vrais moines sont logés. La cuisine est la même pour tout le monde, très bonne tout en étant simple.

Le premier repas du jour, shôjiki, se compose juste d'un gruau de riz avec des légumes en saumure, bien que chaque jour le gruau soit agrémenté soit de petits grains de maïs soit de petits morceaux de mochi. C'est le seul repas de la journée où l'on utilise une cuillère. Le déjeuner ou chûjiki est composé de riz, de soupe au miso, de légumes en saumure, et d'une ou deux petites portions pour accompagner comme du hijiki ou des légumes bouillis. Le dîner, qui s'appelle yakuseki, est à peu près identique. Tous les repas se mangent dans le style hautement sophistiqué des ôryôki [les bols traditionnels], qui s'est trouvé être bien différent de la manière simplifiée et occidentale que j'avais apprise au Zen Mountain Center. Il y avait tant d'énergie mentale autour des repas que parfois j'avais l'impression que la véritable raison pour laquelle j'étais là était d'aller à l'école des ôryôki, à laquelle on ajoutait un peu de méditation, histoire de tuer le temps.

Les différences vont des règles supplémentaires sur comment défaire puis remettre vos ustensiles, jusqu'à de nouvelles étapes comme l'utilisation à la fois du thé chaud et de l'eau chaude pour le nettoyage. Certains changements ont une raison logique évidente comme de laver l'extérieur de chaque bol en le trempant de côté dans le suivant rempli d'eau chaude tout en le faisant tourner sur lui-même. Dans l'ensemble cependant, les différences donnent une saveur totalement différente aux ôryôki. Au lieu de le faire paraître plus artificiel et ritualisé, en fait, elles semblent enrichir et compléter l'ensemble.

EiheijiUne différence en particulier est que vous mangez avec votre bol tenu à la hauteur de votre bouche et les coudes écartés du corps. Cela a pour effet de concentrer votre attention sur le repas et l'action de manger. Des petites choses comme de replacer vos baguettes sur le bol du milieu avec les deux mains ou bien de prendre vos baguettes (également avec vos deux mains) d'abord en les plaçant entre le pouce et l'index puis seulement à ce moment-là de soulever le bol avec lequel vous voulez manger a pour effet de donner à toute l'action de se nourrir une sorte de dignité attrayante. Pendant le repas de midi, une offrande est faite au Bouddha : sept grains de riz. Pour une raison ou une autre, dans la version du Zen Mountain Center, cela se fait à tous les repas. Dans la version d'Eiheiji, le problème qui se pose au ZMC - quel met offrir, le gratin de nouilles, le fromage ou la salade ? - ne se pose pas car il y a du riz à chaque repas. Un malheureux participant s'est débrouillé pour faire tomber son petit morceau de riz par terre, car il s'agit d'un monastère sôtô traditionnel, où l'on mange sur la bordure du tan [l'estrade]. La réaction des moines qui gardaient un œil sur nous a été plutôt surprenante : ils se sont précipités vers son siège avec force salutations et gasshô pendant que les grains de riz étaient récupérés. J'imagine qu'il suffit que cela arrive une fois ou deux pour que vous commenciez à être vraiment très concentré quand vous mettez votre offrande au bout du setsu, la spatule. Dieu sait ce qui se passerait s'il vous arrivait de faire tomber vos baguettes ou, que le ciel vous en préserve, tout un bol.

J'ai trouvé intéressant qu'aucun véritable effort n'ait été fait pour nous enseigner quoi que ce soit au sujet du zen. Nous avons appris différents types de salutations. Le gasshô doit être un véritable gasshô avec les bras tendus parallèles au sol, les doigts à trois centimètres du nez. Et shashu, et comment se tenir dans le zendô, y compris certains détails comme la direction dans laquelle tourner votre zabuton en le brassant pour le remettre en forme après la méditation (dans le sens des aiguilles d'une montre). Mais personne n'a jamais parlé de l'aspect mental au cours de la méditation. Dans cette retraite, il n'y avait pas non plus de dokusan, d'entretien avec l'enseignant. J'imagine que c'est vraiment comme ça que le zen est enseigné au Japon, y compris aux moines qui viennent à Eiheiji pour y vivre un, deux ou trois ans : une façon de les jeter à l'eau et d'observer s'il peuvent nager, ou peut-être cela tient-il plutôt de l'idée de créer un tel état de frustration et de désarroi que lorsqu'un enseignant daigne passer une ou deux minutes avec eux ils l'apprécient d'autant plus et le prennent beaucoup plus au sérieux.

Les moines qui ont eu affaire à nous, six je crois en tout, n'étaient pas très bavards aussi n'avons-nous pas obtenu beaucoup d'informations sur eux ou ce qu'ils pensaient. On a pourtant eu quelques indications. Il semble que la majorité de ces moines, à Eiheiji ils sont un peu plus de deux cents, soient là pour un temps relativement court, je veux dire deux ou trois ans, après quoi ils comptent retourner et diriger leur temple familial. Bien qu'ils puissent s'occuper du temple familial sans séjourner à Eiheiji, ils obtiennent une sorte de certificat en purgeant leur peine.

EiheijiFranchement, les moines à Eiheiji m'ont donné l'impression que beaucoup d'entre eux, effectivement, "purgeaient une peine". Cela peut paraître étrange à un étudiant zen occidental que quelqu'un qui a la chance d'étudier dans le premier temple sôtô du monde choisisse simplement une mise à l'épreuve, mais c'était vraiment mon impression. À mes yeux d'Occidental, la vie monastique là-bas semble vraiment restreinte et contraignante. L'emploi du temps ne permet pas un moment d'activité personnelle. Même des activités comme de prendre un bain, qui au ZMC se font durant votre temps "personnel", se passent en groupe, les moines font la queue et prennent leur bain ensemble, ce qui est rendu possible grâce à la grande baignoire de type japonais (bien que nous n'étions pas autorisé à aller dans le véritable yokushitsu, les bains publics utilisés par les moines). Le samu est plus fait pour les groupes également. Autant que je puisse en juger il n' y a pas de temps ou si peu, tout au moins pour les jeunes moines, pour étudier quoi que ce soit ou lire. Un des moines nous a dit que le système d'organisation à Eiheiji était si bien développé que les forces armées japonaises leur rendaient visite pour l'étudier. Et bien, ça devait être bien développé - ils ont eu plus de sept siècles pour mener à bien ces aberrations. C'est plutôt surprenant quand vous y pensez, que la vie quotidienne du temple soit probablement très proche de celle de l'époque de Dôgen, je dirais une des rares institutions au monde qui a maintenu les mêmes façons conséquentes au cours d'une aussi longue période.

Le programme de sanzen est ouvert à tous bien qu'il ne soit pas particulièrement fait pour les personnes qui ne parlent pas japonais. Des Occidentaux pourront avoir des difficultés à s'asseoir en seiza une heure entière pendant le service du matin. Le programme lui-même est relativement similaire à celui d'une sesshin du ZMC, bien qu'ils n'aient pas encore prévu d'ajouter du yoga - cela prendra probablement encore sept siècles et demi.

Illustrations : Eiheiji (Bob Myers) ; les moines d'Eiheiji prenant leur repas et méditant (DR). Reproduit et traduit avec l'aimable autorisation de Bob Myers. Reproduction interdite.

Reproduction interdite. [Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf]


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