Dans les années quarante et cinquante, la génération beat américaine, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Gary Snyder et leurs camarades s'initient au Zen par les lectures de D. T. Suzuki et d'Alan Watts. Kerouac écrit Les clochards célestes, Satori et s'essaye à la méditation. Gary Snyder est l'un des seuls à vouloir s'engager totalement dans cet univers qui leur paraît si fascinant. Il apprend le japonais, se plonge dans les sûtra. Puis il quitte les États-Unis et s'installe au Japon. En 1957, il participe à une sesshin, une retraite zen, au grand monastère de Shôkokuji, l'un des sièges de l'école Rinzai à Kyôto. Huit jours durant, il partage le quotidien des jeunes moines, les unsui. Il rédige à cette occasion un compte rendu qui sera publié en 1960 dans un ouvrage édité sous la direction de Nancy Wilson Ross, The World of Zen ("Le monde du Zen"). Plus de cinquante ans après, on relira avec intérêt ce tout premier témoignage, aux accents parfois un peu idylliques. Les lecteurs de l'époque découvraient le monde des monastères zen, celui des monastères Rinzai, où l'on travaille à son illumination – le fameux satori – à coup de bâton et de kôan. L'Occident n'avait pas encore découvert l'autre école zen du Japon, le Sôtô.
Le temple de Shôkokuji se trouve au nord de Kyôto. C'est l'un des principaux temples de la secte zen Rinzai. En fait, Shôkokuji est plutôt un ensemble : derrière sa grande porte de bois et ses vieux murs de boue couverts de tuiles se trouvent plusieurs temples avec, chacun, ses jardins et son bosquet de bambou, ses propres murs et sa propre entrée. Au centre de cet ensemble se dresse la haute salle de conférence à double pignon, silencieuse et aérée, au plafond de laquelle est peint un énorme dragon dont l'œil ardent se trouve au centre même dudit plafond. La salle est peu utilisée, sinon pour de rares cérémonies rituelles et le Bouddha doré qui y trône n'est guère dérangé par les chants ou les tambours. Devant la salle de conférence se trouve un bosquet de jeunes pins et un grand bassin carré de lotus. À l'est, une tour de bois et la modeste porte du sôdô, l'école des moines zen ou unsui, qui deviendront prêtres des temples de Shôkokuji. Quelques-uns, après des années de zazen (méditation), d'étude des kôan et de la philosophie de l'Avatamsaka (ou Kegon) deviennent des rôshi (maîtres du Zen), habilités à diriger à leur tour des sôdô ou à instruire des groupes laïques. Des laïcs sont également autorisés à se joindre aux unsui au cours des réunions vespérales dans le zendô (salle de méditation) et à participer comme eux, sous la conduite du rôshi, à l'exercice du kôan ou au sanzen, ce féroce dialogue en tête à tête au cours duquel il faut "cracher la vérité" ou périr.
Dans la vie du sôdô, au cours de certaines semaines de l'année, les occupations ordinaires (jardinage, menuiserie, lecture, etc.) sont interrompues et le temps est presque entièrement consacré au zazen. Ces semaines-là sont appelées sesshin, ce qui signifie littéralement "concentration de l'esprit". Les laïcs qui veulent y participer en observateurs – et qui sont capables de rester assis, silencieux, pendant de longues heures – y sont accueillis. À Shôkokuji, la sesshin de printemps a lieu au cours de la première semaine de mai.
La sesshin commence dans la soirée. Les participants se réunissent en cercle dans la salle centrale du sôdô et s'asseyent sur deux rangs dans la pénombre. Le rôshi entre silencieusement, s'assied à la tête de la double rangée des unsui, et tous boivent du thé. Puis le jikijitsu, qui est en quelque sorte le "principal" des unsui du zendô (il change tous les six mois et est choisi parmi les aînés), lit solennellement les règles du zendô et de la sesshin, rédigées en japonais médiéval. Le rôshi prononce quelques mots, tout le monde s'incline et gagne le zendô pour une courte méditation avant de se coucher.
À trois heures du matin le fusu (un autre moine, âgé, chargé de la nourriture, des finances et des contacts avec les unsui) apparaît dans le zendô et agite une clochette. Les lumières s'allument – des ampoules de dix watts fixées aux poutres d'un bâtiment qui, pendant des siècles, a été éclairé par des lampes à huile – et chacun, rapidement, sans un mot, roule son unique couvre-pied, le range dans une petite armoire à la tête de sa natte, descend de la banquette circulaire qui entoure la salle et, les pieds nus dans des sandales de paille, va se laver le visage à l'eau glacée. On revient en hâte pour s'asseoir, les jambes croisées, sur les coussins du zazen, à l'endroit même où l'on a dormi. Le jikijitsu fait de même, allume un bâton d'encens et annonce le début de la journée en faisant claquer l'un contre l'autre deux blocs de bois dur et en frappant un seul coup sur une petite cloche de bronze. Après plusieurs minutes de silence, on entend un autre claquement dans la salle centrale. Tout le monde se lève et suit en file indienne le jikijitsu, armé de sa cloche, le long du sentier de pierre de cinquante mètres qui relie le zendô à la salle centrale. Là, assis sur deux rangs, les unsui commencent à réciter des sûtra en sino-japonais, au rythme d'un tambour de bois en forme de poisson et d'une cloche au son grave. Le rôshi entre, s'avance entre les deux rangées d'unsui, salue à plusieurs reprises l'image du Bouddha, fait brûler de l'encens, et se retire. La récitation des sûtra dure une heure, après quoi tous regagnent le zendô. On récite debout le Prajñâ pâramitâ hridaya sûtra, avant de se hisser sur sa natte pour méditer. Au bout d'une demi-heure, le jikijitsu rugit : "Sortez !" et les unsui se précipitent dehors pour aller s'agenouiller l'un derrière l'autre devant la chambre du sanzen où les attend le rôshi. Ils y entreront à tour de rôle, chaque entrée étant marquée par un coup de cloche. Tout ce qu'on entend de l'extérieur est un occasionnel grognement ou parfois le bruit d'un coup de baguette. Les hommes regagnent ensuite leur place un à un et d'un air soumis.
Certains pourtant se rendent aux cuisines pour faire cuire du riz, dans d'énormes terrines noires, sur les fourneaux de briques où brûle un feu de bois. Lorsqu'ils en ont fini, ils apportent le riz dans de petits bols où plongent des baguettes. À ce moment, il fait jour et, à cette époque de l'année, les camélias sont en fleur, C'est dehors qu'on prendra ce "petit déjeuner" qui, bien qu'il se compose uniquement de radis au vinaigre et de gruau de riz cuit au maigre, commence et s'achève par la récitation de quelques versets. Ensuite, les moines se dispersent : les uns vont laver la vaisselle, d'autres balayer les longues vérandas de bois de la salle centrale, faire le ménage dans les chambres du rôshi ou ratisser les sentiers du jardin. Les plus jeunes et les étrangers au temple se chargent de l'entretien du zendô.
Le zendô de Shôkokuji est l'un des plus vastes et des plus beaux du Japon. Il se dresse sur une terrasse de pierre surélevée et entourée d'un chemin de pierre. Sa façade est de bois brut avec un toit surplombant. À l'intérieur, la fraîcheur, la pénombre et le silence règnent entre les hautes colonnes de bois fichées dans le granit. La haute banquette de bois qui suit les murs peut recevoir quarante nattes. Au centre, dans une niche de bois à trois parois suspendue au plafond, se trouve une statue de bois grandeur nature de Kâshyapa, le disciple du Bouddha, tournée vers l'entrée principale. Dans une seconde pièce se dresse sur un autel la statue de bois du fondateur de Shôkokuji.
Vers sept heures du matin, les corvées matinales sont terminées et le jikijitsu invite ceux qui ont nettoyé le zendô à prendre le thé dans sa chambre. Le jikijitsu et le fusu ont chacun un "appartement" privé, le premier dans un petit bâtiment attenant au zendô et le second dans le bâtiment central. Assis sur des nattes, les unsui se détendent, fument, plaisantent un peu. Le jikijitsu, redoutable pendant les séances de zazen, se montre très aimable.
- Un de ces jours, vous serez rôshi, lui dit un étudiant en médecine qui participe à la sesshin.
- Sûrement pas ! Je n'entends rien aux kôan... répond-il en riant et en frottant sa tête rasée à l'endroit où le rôshi l'a frappé la veille.
Sur quoi, armé d'une pioche, il va jusqu'au bosquet de bambou pour y couper quelques pousses destinées à la cuisine. Personne ne travaille beaucoup, en période de sesshin, et en dehors d'un peu de jardinage chacun trouve le temps, au cours de la matinée, de s'asseoir au soleil pour fumer.
À dix heures et demie, c'est le déjeuner, le principal repas de la journée, composé de miso (potage de légumes), de riz et de plusieurs sortes de conserves au vinaigre. Ensuite, les laïcs et les plus jeunes unsui regagnent le zendô, tandis que leurs aînés s'occupent des affaires du sôdô, mettent les comptes à jour, vont faire des achats ou s'enquérir des désirs du rôshi. L'après-déjeuner se passe sans contrainte. On reste assis dans le zendô, on se promène un peu, on fume. Il n'est pas interdit de bavarder, mais personne n'y semble très enclin.
Vers trois heures de l'après-midi, le jikijitsu rentre en scène. Lorsque tout le monde est rassemblé et qu'a résonné la cloche de la salle centrale, on s'y rend pour réciter de nouveaux sûtra (ceux-ci changent chaque jour). On revient ensuite au zendô pour réciter derechef le Prajñâ pâramitâ hridaya sûtra, puis le jikijitsu entonne seul un sûtra, debout sous la statue de Kâshyapa, les mains en porte-voix autour de la bouche comme s'il voulait être entendu à des kilomètres.
Après une courte séance de méditation assise, c'est le repas du soir, aussi sommaire que le petit-déjeuner et pris, comme lui, rapidement et silencieusement.
Le soir tombe. Tous les zenbô (adeptes du Zen) commencent à se rassembler. Certains ont leur coussin sous le bras et tous s'inclinent devant Kâshyapa en entrant dans le zendô. Chacun, la main droite levée devant la poitrine, gagne sa place, salue à nouveau et s'assied dans la posture de "demi-lotus", les jambes croisées. D'autres visiteurs arrivent – des professeurs, une demi-douzaine d'étudiants d'universités vêtus de noir. Certains sont un peu hésitants, craignant de commettre des erreurs, curieux de participer au zazen et impressionnés par le décor. Un étudiant, apparemment de condition modeste, a la tête rasée comme un unsui. Chaque soir, il entre avec décision, s'assied silencieusement sur son coussin et ne semble reconnaître personne. À dix-neuf heures trente la salle est à demi remplie et l'on entend la grande cloche de la tour. Les modestes ampoules s'allument. Le zazen du soir est commencé.
Le jikijitsu s'assied à son tour. Toutes les demi-heures, il fera claquer ses morceaux de bois et sonner sa clochette. À côté de lui, un bâton d'encens brûle au dessus d'une petite boîte de bois sur laquelle est inscrit le caractère chinois signifiant : "pas encore". À la fin de la première demi-heure il annonce : "kinhin" (méditer en marchant). Les unsui se lèvent, retroussant leurs manches et relevant leur robe, et à un autre signal se mettent à marcher l'un derrière l'autre autour de la salle. Ils marchent vite et du même pas, conduits par le jikijitsu et s'inclinant chaque fois qu'ils passent devant la niche de Kâshyapa. Le jikijitsu crie "Sortez !", le cercle se brise et tous se précipitent dehors, pour le sanzen nocturne. Au cours des vingt minutes qui suivent, ils reviennent l'un après l'autre pour reprendre leur méditation, qui porte sans doute cette fois sur la réponse du rôshi.
Le zazen est une chose très stricte, et tous le sentent. Le jikijitsu, une longue baguette plate sur l'épaule, marche lentement entre les deux rangées d'hommes assis, immobiles, les yeux mi-clos, le regard dirigé fixement vers le sol. Si un "nouveau" est mal assis, le jikijitsu lui touchera légèrement l'épaule pour lui faire remarquer – mais si c'est un unsui, il le bousculera sans ménagement. Sans un mot, l'homme se lèvera et se rassoira comme il convient. Un autre donne des signes d'assoupissement : le jikijitsu le frappe légèrement sur l'épaule avec sa baguette. L'homme se lève à son tour, le jikijitsu et lui se saluent l'un l'autre, puis le premier se penche en avant, pour recevoir quatre coups de baguette sur chaque côté du dos. Ces coups ne sont pas particulièrement douloureux, bien que le bruit du bâton ait de quoi terrifier un profane : ils ont pour but de réveiller l'impétrant. Si, au cours de cette longue station assise, un membre s'engourdit douloureusement, il n'est pas question de changer de position avant que le jikijitsu fasse sonner sa clochette : dans ce cas, il faut se contenter de porter ailleurs son esprit. Au bout d'une heure, c'est le second kinhin – vingt minutes de marche rythmée et silencieuse, généralement bienvenue. Celui qui n'a pas repris sa place et la position qui convient lorsque le jikijitsu fait à nouveau résonner sa clochette est bousculé assez brutalement. Le Zen a pour but la liberté, mais sa pratique est très stricte.
Plusieurs unsui se sont éclipsés pendant le kinhin. Ils reviennent à dix heures, portant de grands plateaux de bols de laque contenant des nouilles bouillantes. Chacun se voit présenter un bol, deux ou trois même s'il le désire, et se met à manger rapidement avec des baguettes : les zenbô ont la réputation d'être les plus rapides mangeurs de nouilles du monde et aucun ne veut être le dernier. On reprend la méditation. À dix heures et demie, nouvelle pause : les hommes fument et bavardent un peu.
- Y a-t-il vraiment des Américains qui s'intéressent au Zen ? me demande-t-on avec étonnement (car les propres compatriotes des zenbô leur prêtent peu d'attention).
À onze heures, nouveau signal du jikijitsu, récitation des derniers sûtra. Puis les visiteurs se retirent, après avoir salué profondément la statue de Kâshyapa et le jikijitsu. Les autres se glissent immédiatement sous leur couverture et ne bougent plus. Le jikijitsu fait une fois encore le tour de la salle, dit : "Prenez conseil de votre oreiller", et s'en va à son tour. Les lumières s'éteignent – mais aussitôt chacun se relève et, emportant son coussin de méditation, va pratiquer le zazen individuel, dehors, où il lui plaît, pendant deux autres heures. La journée suivante commencera pourtant à trois heures du matin.
Tel est l'emploi du temps quotidien durant la sesshin. À plusieurs reprises au cours de cette semaine, le matin, le rôshi donne une causerie (teishô) basée sur quelque anecdote de la littérature zen, généralement empruntée au Mumonkan ou au Hekiganroku. Le groupe se réunit alors dans la salle centrale. Le rôshi prend place, les jambes croisées, sur un très haut siège, accepte une tasse de thé et prend la parole. Ses propos sont plutôt déroutants pour les pauvres zenbô, qui passent leurs nuits à se torturer l'esprit, car il leur explique que "le chemin de la perfection est facile", et il le pense, et eux savent qu'il a raison...
Au milieu de la semaine, chacun a droit à un bain et à avoir la tête rasée de frais. "Quand tu étudies les kôan, tu ne dois pas relâcher ton attention, même au bain", dit un axiome zen – mais cette fois il est oublié. La maison de bain contient deux grands tubes de fer, chauffés par des feux de broussailles attisés de l'extérieur. La fumée bleue et la douce odeur du bois qui brûle incitent les hommes à prendre leur temps et à faire soigneusement leur toilette. C'est le jikijitsu qui rase les têtes des autres, puis la sienne propre, sans miroir et sans jamais se couper. Le jour du bain, les zenbô sortent en ville pour mendier. On voit à peine leur visage sous le grand chapeau de paille tressée. Ils parcourent ainsi plusieurs kilomètres dans les petites avenues et les rues de Kyôto, sans jamais s'arrêter, en marchant lentement, loin les uns des autres, en émettant un étrange cri plaintif.
Le lendemain de ce jour-là, lorsque j'étais à Shôkokuji, alors que nous prenions le thé avec le jikijitsu, un professeur de faculté se joignit à nous et se mit à parler des kôan.
- Une fois que vous comprenez le Zen, dit-il, vous savez que l'arbre est vraiment là.
Ce fut la seule fois de toute la semaine que j'entendis quelqu'un faire allusion à la philosophie ou à la pratique du Zen : les zenbô ne discutent jamais entre eux de tels sujets.
La sesshin s'achève à l'aube du huitième jour. Tous ceux qui y ont participé se réunissent alors chez le jikijitsu pour boire du thé vert et manger des gâteaux. La conversation est détendue, car tout est terminé, et le jikijitsu, qui a passé la semaine à houspiller, à bousculer et à frapper les zenbô, est à présent leur meilleur ami : nombreuses sont les formes de la compassion...
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Une biographie de Gary Snyder par Allen Ginsberg
On lira également le témoignage de Fabien Gérard qui, cinquante ans après Snyder, s'initie à une retraite zen au Japon
Le milieu de la pratique zen, une réflexion de Fabrice Blée sur la pratique du zen et son contexte
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