Accueil - Sommaire
La méditation
Activités - Groupes
L'enseignant
Toucher le cœur
Les rendez-vous
Qu'est-ce que le Zen ?
Orient-Occident
Essais
Causeries
Enseignements
Textes classiques
Télécharger
Le réseau BASE
Le blog zen
Bodhidharma
Dôgen
Gudô
Jiun sonja
Album photos
Expériences
Digressions
Humour
Bouquins
FAQ
Poésie
Section membres
Mises à jour
Plan du site
Nous soutenir
Mentions légales


Une recherche rapide par mot-clé ?



Recevoir la lettre d'information ainsi que la liste des mises à jour :







Le milieu de la pratique zen : Pour une spiritualité du dialogue

Un article de Fabrice Blée (5e partie)



Fabrice BléeFabrice Blée est professeur à la Faculté de Théologie de l'Université Saint-Paul d'Ottawa, Canada, où il enseigne la théologie des religions et le dialogue interreligieux.

Il est le directeur de la collection "Spiritualités en dialogue" aux Éditions Médiaspaul, où il a lui-même publié Désert de l'altérité (Médiaspaul 2004), un ouvrage sur le dialogue interreligieux monastique.

Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf.

Sommaire

[1] Introduction
[2] De l'espace géographique
[3] De l'espace intérieur
[4] De la structure interne
[5] De l'éveil en toute simplicité (cette page)
[6] Dialogue et renouveau contemplatif

"Le milieu de la pratique zen : Pour une spiritualité du dialogue" est paru dans la revue Origins: Journal of Cultural and Religious Studies, Centre for the Study of Traditional Culture, Zalau, Roumanie (numéro 3-4/2002). © Fabrice Blée. Reproduction interdite.



4. De l'éveil en toute simplicité

La méditation assise trouve enfin son orientation dans l'expérience d'illumination, une expérience de non-dualité, au-delà des sens et des pensées, dans laquelle on réalise l'essence du Prajnâ pâramitâ hrdaya - texte le plus récité dans le monastère et fondement philosophique de la pratique zen -, à savoir que la vacuité (shûnyatâ) n'est rien d'autre que la forme et que la forme n'est rien d'autre que la vacuité. Dans cette perspective d'éveil, zazen ne peut se résumer à la méditation assise, car où que l'on soit, quoi que l'on fasse, tout est zazen. Dans un de ses poèmes (waka), Shidô Bunan zenji précise que "ne pas faire zazen n'est rien d'autre que zazen lui-même, quand on le sait vraiment, on n'est pas séparé de la voie du Bouddha". Cela renforce l'idée que, si le zen se réfère du point de vue étymologique au deuxième (dhyâna) des trois principes fondamentaux [1] de la voie octuple, il met davantage l'accent sur la vision pénétrante (prajnâ) que représente Manjusrî, le seul bodhisattva dont l'autel se trouve dans le zendô.

Ainsi, la méditation ne se définit pas en fonction d'une position ou d'une technique de concentration, et encore moins coupée de tout rapport à la transcendance comme le pensait T. Merton au début de ses études sur les spiritualités orientales. Elle désigne plutôt l'aiguillon de la vie renouvelée, qu'est ce regard - dharma eye -, qui, instant après instant, perce l'illusion du moi, et sans lequel aucune vertu ne peut prétendre à de réels accomplissements. Comprendre zazen de cette façon peut aider par ailleurs à expliquer le refus souvent constaté chez certains sages et mystiques de s'attacher à une technique spécifique de méditation. Lorsqu'on demanda à Ramana Maharshi de nommer la méthode la plus appropriée pour parvenir à l'illumination, sans viser une pratique particulière, sa réponse consista à rappeler l'importance de débusquer sans cesse les racines de l'ego à travers le questionnement.

Quoi qu'il en soit, ce regard neuf, que j'ai illustré par un point, est au centre du processus qui, de l'espace intérieur, conduit l'individu à franchir l'espace géographique pour s'inscrire dans la dynamique de l'organisation interne. Or, ce point s'accompagne d'un cercle qui en est l'extension inhérente et qui circonscrit les dimensions du milieu zen exposées plus haut. Cela illustre le fait que l'espace géographique et sa structure ont été récapitulés et par conséquent relativisés dans l'expérience d'éveil, puisque l'aspiration primordiale qui en est la source a trouvé réponse en cette même expérience. On aboutit alors à l'ironie de la situation où la méditation assise libère le pratiquant de l'environnement ascétique et philosophique dont elle est elle-même issue. En d'autres termes, son environnement n'est plus limité à l'espace géographique. Tel le nuage (un) qui évolue librement en s'adaptant aux conditions extérieures, et pareil à l'eau qui surmonte les obstacles en toute humilité, le moine (unsui) ne se confronte à rien, rien ne se confronte à lui ; conscient de l'esprit infini, à la fois vide et matrice de tous les possibles (shûnyatâ), il est en interaction naturelle avec tout phénomène. Ayant vécu la grande mort, il n'est plus soumis à aucune limite, en mesure d'agir en tout lieu avec la même attention. Ayant réalisé l'unité de toute chose, le monde entier devient son milieu monastique, et toute chose devient le maître, ce qui revient à dire que la réalité ultime est transparente dans et par le monde visible, qui, de ce fait même, révèle son caractère illusoire, compris toutefois dans un sens foncièrement positif. Cela renforce aussi l'idée que la vie du moine zen s'apparente à un entraînement - à la fois physique et mental - qui, lorsqu'il est mené à terme, implique de mettre en application ce qui a été appris en situation réelle. Dès lors, le moine est appelé à reprendre le chemin de la ville en foulant à nouveau le sentier par lequel, quelque temps plus tôt, il a quitté ses proches, mais avec cette différence toutefois que son pas est désormais léger et son regard éveillé. Cette démarche typique du moine zen rejoint parfaitement la formule de J. Dunne selon laquelle il faut aller sur la montagne pour mieux redescendre dans la vallée.

La méditation zen inscrit sa finalité dans l'éveil, mais aussi dans l'action morale, elle vise à faire du moine un meilleur citoyen, dévoué envers sa communauté, en toute humilité et gratitude sans rien attendre en retour. II est significatif que D. T. Suzuki commence son livre sur la vie monastique avec les vies d'humilité, de service et de travail, n'abordant la vie de méditation qu'à la toute fin. Si le moine passe plus de temps au travail qu'en méditation assise, sa concentration est appelée à demeurer constante. Et si balayer des heures durant m'apparaissait d'emblée une perte de temps, j'en ai peu à peu compris la pertinence en réalisant combien il est plus difficile de maintenir sa concentration dans le feu de l'action que dans l'immobilité. C'est précisément ce que vise le zen, à savoir une présence attentive dans les moindres gestes de la vie quotidienne, bien que la méditation assise en soit le support essentiel. Celle-ci ne recherche donc pas l'isolement ni le refuge dans l'affirmation de tendances égotiques, ou pire dans un auto-érotisme.

Certes, il y a de toute évidence retrait et détachement, mais ceux-ci s'inscrivent à l'inverse dans un rapport au monde plus intense et authentique, avec un sens profond de solidarité avec la vie. Je me souviens qu'avant mon séjour à Ryûtaku-ji, j'éprouvais un malaise profond à l'idée de m'engager dans un plan de vie classique avec ses étapes prédéterminées établies par la société, et ce, de peur de ne pouvoir suivre mes aspirations les plus profondes. Je vivais alors une sorte de clivage entre l'idéal à atteindre et l'engagement dans des responsabilités mondaines, un clivage qui, à ma grande surprise, a perdu sa raison d'être lorsque, dans l'enceinte monastique, j'ai réalisé comme jamais auparavant, bien que de façon modeste, que le monde ne repose sur aucun fondement et que tout ce qui le constitue est de nature transitoire et, plus encore, qu'au-delà de la danse illusoire des apparences, luit le bonheur et la paix véritables. Comment alors les attaches à une famille, à des biens ou à toutes routines que ce soient peuvent-elles être un obstacle à la vérité ? Je suis sorti du temple heureux, sans peur des engagements et avec la ferme volonté de m'impliquer socialement. L'espace intérieur qui traduisait un malaise, une difficulté à trouver sa place dans le monde, tend, dans le processus d'éveil, à devenir le lieu d'une plénitude dont l'authenticité s'évalue par ses effets que sont la compassion, le courage, la spontanéité et l'abnégation de soi.

Toutefois, si l'environnement de la pratique zen est récapitulé dans une attitude intégrée et unifiée, il n'en est pas pour autant devenu caduc. Certes, la barque devient un fardeau lorsque l'autre rive est atteinte, mais l'illumination ne coïncide pas nécessairement avec la fin de toute ascèse. Souvent considéré comme le début de la voie plutôt que son aboutissement, le satori - first sight of Truth – exige, à l'inverse, d'être approfondi par une pratique continue et assidue. Plus l'expérience d'éveil est profonde, plus le besoin de pratiquer se fait ressentir, signe que zazen ne peut se réduire à une méthode. L'éveil ne se vit donc pas une fois pour toutes. Non seulement, il est possible de vivre plusieurs expériences d'éveil de différentes intensités, mais aussi, pour que de telles expériences ne se cristallisent pas en de simples souvenirs, le moine est appelé à revenir sur la montagne de temps à autre, afin que, autour de lui, se déploie à nouveau le "milieu" de sa pratique méditative. (.../...)

Note

[1] La voie octuple qui correspond à la quatrième noble vérité formulée dans le Sermon de Bénarès, se divise en trois parties : la discipline ou moralité (sîla), la méditation (dhyâna) et la sagesse (prajnâ). [Retour].