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Du kôan au mantra

Les rapports du zen et du bouddhisme tantrique



Bernard FaureUn article de Bernard Faure. Bernard Faure est professeur d’histoire des religions d’Asie à l’Université Columbia (New York). Ses travaux sont pour la plupart consacrés au bouddhisme japonais médiéval et publiés en anglais ou en français.

Cet article est paru dans la revue Connaissance des Religions, n° 61-64, janvier-décembre 2000.

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Introduction

Le Zen et le bouddhisme tantrique sont les deux formes de bouddhisme les mieux connues (ou méconnues) en Occident. En effet, si l'on a jusqu'ici fait grand cas du tantrisme indo-tibétain, on connaît moins bien le tantrisme sino-japonais. Or ces deux traditions ont jusqu'ici été étudiées séparément, en fonction de l'image orthodoxe et puriste qu'elles cherchaient à se donner d'elles-mêmes. Toutefois, dans le contexte de la culture japonaise, elles se sont au cours des siècles passablement influencées. Le Zen en particulier, malgré ses déclarations d'indépendance et d'originalité, est, comme on va le voir, sur de nombreux points tributaire du tantrisme japonais.

Comme on le sait, le Zen tire son nom du terme indien dhyâna (traduit d'ordinaire par "méditation", et transcrit en chinois par channa, abrégé en chan, lequel terme est rendu par un caractère chinois qui se lit en sino-japonais zen). Il n'y a pas lieu d'ajouter foi à la tradition qui veut que le Chan/Zen soit la doctrine "ésotérique" transmise par le Bouddha à ses disciples, avant d'être importée en Chine au début du sixième siècle par le "vingt-huitième patriarche" indien, Bodhidharma. Le tantrisme, quant à lui, est un mouvement de réforme religieux qui affecte tant le bouddhisme que l'hindouisme, et dont les principaux textes s'élaborent à partir du cinquième siècle. À la différence du Chan, il met l'accent, non seulement sur le but final, l'éveil, mais sur les "pouvoirs supranormaux" (abhijña), dont l'obtention jalonne le chemin vers l'éveil.

Le contraste entre les deux écoles s'accuse au niveau des modèles culturels : ainsi, tandis que le tantrisme japonais trouve ses références en Inde, allant jusqu'à parsemer ses textes de passages en écriture siddham (une variante du sanskrit), le Zen cherche ses références dans une culture chinoise quelque peu idéalisée. Mais l'opposition la plus tranchée est en matière de pratique : tandis que l'école du Chan/Zen prétend se passer des images – et l'on peut en ce sens parler d'un "iconoclasme" chan –, le tantrisme prétend accéder à l'Absolu au moyen des images : il s'agit en quelque sorte de passer à travers elles pour les dépasser. Donc, en principe, le Chan refuse toute médiation symbolique, alors que le tantrisme se caractérise par une prolifération des symboles.

Par-delà leurs différences évidentes, ces deux écoles, présentent des affinités profondes : l'une comme l'autre se présentent comme le "véhicule suprême", la doctrine qui résume – et dans une certaine mesure annule – toutes les autres. À la différence du premier bouddhisme, toutes deux prétendent offrir un accès rapide – voire "subit" – à la réalité. Cette réalisation dérive de la notion d'"éveil foncier" (j. hongaku), autrement dit, de la croyance que chacun de nous est déjà foncièrement éveillé, qu'il est en lui-même un bouddha, et qu'il suffit de s'en rendre compte pour mettre fin à l'illusion.


Le tantrisme en Chine

C'est avec le maître tantrique Amoghavajra (ch. Bukong, 705-774) que se réalise la synthèse du tantrisme avec la culture chinoise – et notamment la cosmologie chinoise du yin et du yang et des cinq phases (wuxing). Cette synthèse s'exprime notamment par la constitution d'un des symboles tantriques fondamentaux : le stûpa à cinq degrés (j. gorin [no] tô), qui associe en un seul édifice divers symboles tels que : les cinq éléments tantriques (terre, eau, feu, vent, espace) hérités du yoga classique et les cinq formes (carré, cercle, triangle, demi-lune, joyau) – qui étaient à l'origine celles des foyers du homa ou rite du feu védique – et les cinq couleurs symboliques (jaune, blanc, rouge, bleu, noir), avec les cinq agents (ch. wuxing) de la cosmologie chinoise. Ainsi, en fin de compte, ce sont les affinités entre les systèmes cosmologiques indien/tantrique et chinois qui ont préparé le terrain à la floraison tantrique du Japon des époques Heian et Kamakura.

Ce point est important, en ce qu'il révèle (ou opère) un changement profond dans la métaphysique bouddhique, en la rapprochant des conceptions cosmologiques indiennes et chinoises. Le premier bouddhisme se distinguait avant tout par sa théorie de la causalité karmique, fortement moralisée, alors que les autres grands mouvements religieux indiens, comme la pensée védique, le yoga, et bientôt le Tantra, se fondaient sur la correspondance entre microcosme (le corps humain, par exemple) et macrocosme. Avec le tantrisme bouddhique, on semble donc abandonner l'ontologie bouddhique pour faire retour à la cosmogonie indienne, entendue comme un processus d'émanation de l'Un au multiple [1].

Alors que le premier bouddhisme se caractérisait par une certaine réserve dans le domaine cosmologique, c'est précisément cet aspect qui domine dans le tantrisme (comme, avant lui, dans la pensée védique). Certes, la "genèse" bouddhique traditionnelle (cosmogenèse, mais aussi psychogenèse) est aussi perçue comme un processus d'émanation, mais celle-ci implique une dégradation, une chute dans le "flux commun" de l'existence (le samsâra), au sein duquel "tout est souffrance". S'il est question de retourner à la source. Mais dans le bouddhisme traditionnel, ce "retour" vise avant tout à tarir le flux de l'existence, en détruisant l'énergie qui l'anime – le désir. Le tantrisme prétend quant à lui retourner à la source, en remontant des images (symboles) au sans-image. Le Chan, enfin, prétend "couper court" à toute image et pensée – et donc à tout symbolisme cosmologique.

On a donc là, d'entrée de jeu, deux formes de pratique fondées sur des cosmologies radicalement opposées : dans un cas (tantrisme), le passage de l'un au multiple est perçu comme une émanation ou "procession" (au sens plotinien), dans l'autre (premier bouddhisme, mais aussi Chan des débuts), il s'agit d'une "chute" dans le cycle des vies et des morts (samsâra) qui implique une coupure radicale entre deux plans ontologiques (la vérité et l'illusion). Le bouddhisme pose une solution de continuité entre l'absolu et le relatif, alors que le tantrisme (tout comme le yoga dont il dérive) présuppose la continuité du flux de conscience. Ainsi, plutôt que de nier le monde pour découvrir une réalité ultra-mondaine et purement spirituelle, comme le fait l'ascète bouddhique, le pratiquant tantrique remonte le courant, pour retourner à une source dont il n'a jamais vraiment été coupé. Au lieu d'une cessation radicale de toute activité mentale et de tout désir, le tantrisme prône une transformation (ou un "retournement") de l'activité mentale au moyen du désir. Au lieu de rejeter le monde et le corps, il les transforme en mandala, en images rituelles ou microcosmes qui lui donnent accès à la réalité du macrocosme.


Tantrisme et Chan

Avant d'aborder le cas japonais, il faut dire quelques mots des rapports des deux écoles au cours de leur développement dans le contexte chinois. Le Chan et le tantrisme bouddhique apparaissent vers la même époque en Chine, et connaissent leur apogée sous la dynastie des Tang, avec l'empereur Xuanzong (r. 712-745). Malgré la tradition qui veut que le Chan ait été importé d'Inde par le patriarche Bodhidharma au début du sixième siècle, c'est en réalité vers le début du huitième siècle que l'école du Chan acquiert ses lettres de noblesse. C'est également à cette époque que deux maîtres tantriques indiens, Subhakarasimha (637-735) et Vajrabodhi (671-741), arrivent en Chine. Parmi leurs nouveaux disciples, ils comptent divers adeptes du Chan. L'un d'eux, Yixing (683-727), va d'ailleurs contribuer avec Subhakarasimha à la traduction de nombreux textes tantriques et compiler un important commentaire du Mahâvairocana-sûtra, l'un des textes de base du tantrisme sino-japonais [2].

En dehors de quelques indices glanés dans les biographies des moines bouddhiques, on sait peu de choses des rapports entre ces deux écoles qui rivalisaient pour les faveurs de l'empereur et de la cour. Loin de la capitale, où les questions d'influence et de prestige étaient moins importantes, il semble que ces rapports aient été plus féconds. Ainsi, parmi les manuscrits retrouvés à Dunhuang, certains textes attestent l'impact des notions tantriques dans l'un des domaines où la conscience sectaire et la "volonté d'orthodoxie" était pourtant les plus marquées, la lignée patriarcale. Plusieurs textes Chan comportent notamment une incantation (dhâranî) traduite par Subhakarasimha. Dans l'un d'entre eux, la lignée patriarcale du Chan, au lieu de commencer par Bodhidharma, inclut des patriarches "tantriques" tels que Vasubandhu. Bien plus, la transmission du dharma, au lieu de se faire ici-bas, a lieu dans un espace métaphysique, le vajradhâtu [3].

Le même phénomène s'exprime par images dans un magnifique rouleau peint représentant la tradition bouddhique du royaume de Dali ou de Nanzhao – lequel se développa vers le neuvième siècle à l'emplacement de l'actuelle province méridionale chinoise du Yunnan. Ce rouleau met en scène, au milieu de diverses divinités tantriques, les patriarches du premier Chan [4]. On peut même y découvrir la seule représentation connue du maître Chan Shenhui (684-758), le "septième patriarche" – à qui revient l'honneur douteux d'avoir causé le schisme qui divisa le Chan vers le milieu du huitième siècle. En tout cas, ce document atteste que, vers la fin des Tang, et dans les marges de l'empire chinois, le Chan et le tantrisme faisaient parfois bon ménage.


Le tantrisme et le Zen japonais

C'est ce tantrisme, introduit au début du neuvième siècle par le moine japonais Kûkai (774-835 ; mieux connu sous le titre posthume de Kôbô Daishi), qui devient l'idéologie officielle du Japon de l'époque Heian [5]. Par contre, malgré une première tentative d'acclimatation du Chan à la société de Heian, ce n'est qu'au treizième siècle que celui-ci allait entrer de plain-pied, sous le nom de Zen, dans la société japonaise. Comme on le sait, c'est au début de l'époque Kamakura (1185-1333), que le Zen fut réintroduit par des moines japonais et chinois – dont les plus connus sont Eisai (var. Yôsai, 1141-1215) et Dôgen (1200-1253), considérés respectivement comme les patriarches-fondateurs des écoles japonaises Rinzai et Sôtô (en chinois Linji et Caodong).

On pourrait retenir trois principaux niveaux d'analyse, correspondant à trois aspects fondamentaux du tantrisme : 1. L'obtention de "pouvoirs" supranormaux et la pratique de l'exorcisme ; 2. la sexualité et l'embryologie ; 3. une métaphysique de la parole. C'est sur ce dernier point que nous allons insister.

Nombre des éléments tantriques dans le Zen peuvent sans doute s'expliquer par une certaine vulgarisation doctrinale, qui conduit à insister sur les profits d'ordre mondain. Après tout, une doctrine incapable de répondre aux besoins de ses patrons laïcs avait peu de chances de survivre, à plus forte raison de prospérer. Les maîtres zen, par leur pratique rigoureuse et leur ton altier, semblaient refuser prise aux aléas de l'existence, et on leur attribuait, tout comme aux maîtres tantriques, des "pouvoirs" supranormaux (abhijña, j. jinzûriki). Le fait qu'ils aient affiché un détachement de principe quant aux pouvoirs en question ne changeait rien à l'affaire. C'est surtout dans la pratique des rituels funéraires que le Zen, en passe de devenir le principal représentant d'un "bouddhisme funéraire" (sôshiki bukkyô), fait dès le quatorzième siècle appel aux conceptions tantriques. Du coup, les prêtres zen font de plus en plus figure d'exorcistes, et leurs kôan, utilisés de manière purement rituelle lors des funérailles pour amener le mort à l'éveil posthume, prennent de plus en plus des allures de mantra.

Dans la tradition Sôtô du Zen en particulier, on a beaucoup reproché à Keizan Jôkin (1268-1325) d'avoir ouvert aux influences tantriques le "Zen pur" de Dôgen. On retrouve effectivement de nombreux éléments tantriques, non seulement dans l'enseignement de Keizan, mais jusque dans ses rêves (si tant est que les deux puissent se distinguer). Aux côtés de personnages proprement zen qui apparaissent dans ces rêves de ce visionnaire, on voit se profiler des divinités éminemment tantriques comme Karaten (Mahâkâla). De même, le monastère fondé par Keizan, le Yôkôji, comme de nombreux monastères Zen par la suite, comptait-il parmi ses protecteurs le roi de sapience Ususama (skt. Ucchusma), le purificateur par excellence.

Mais la concession aux croyances populaires n'explique pas entièrement l'attraction constante du tantrisme pour les moines zen. En particulier, on retrouve l'influence tantrique jusque dans les rites les plus secrets du Zen, loin des foules laïques, par exemple lors de la transmission de la Loi du maître à ses disciples, ou même dans ce rituel par excellence qu'est la méditation. Là aussi, le kôan joue un rôle de plus en plus rituel, et n'a plus grand chose à voir avec les échanges spontanés qui, prétend-on, caractérisaient le premier Chan. À mesure qu'ils se sacralisent, ils se chargent de tout un symbolisme tantrique, dont l'herméneutique devient de plus en plus scolastique et ésotérique.

Cette "ésotérisation" du Zen à la fin de l'époque Kamakura fait l'objet des critiques du maître Rinzai Musô Soseki (1275-1351). Mais en réalité, Musô rejette surtout le caractère trop ouvertement utilitaire de certains rites zen et tantriques de son époque. Dans la pratique, il ne dédaignait pas ces rites lorsqu'ils étaient effectués pour des causes plus nobles (comme la soumission des hordes "démoniaques" que constituaient les envahisseurs mongols). De même, c'est aux déviations tantriques de la branche Tachikawa (Tachikawa-ryû) que s'en prend le maître Zen Mujû Ichien (1226-1312).

Ayant entendu dire que dans le royaume de l'éveil qui résulte de la perception de la sagesse d'un bouddha, les illusions et les attaches profanes disparaissent, la distinction entre sujet et objet, entre soi et autrui s'efface, que l'on réalise la souveraine et inconcevable faculté d'action et qu'à ce moment yin et yang, hommes et femmes ne se distinguent plus des deux lois de vérité absolue et sagesse cognitive, les adeptes de ces doctrines donnent alors le nom d'« union mystérieuse de la concentration et de la sapience » aux souillures des passions profanes et ne craignent pas de s'adonner à des pratiques d'une inconcevable perversité. Voilà l'illustration d'une mauvaise interprétation des textes. [6]

Mujû n'était pas le seul à déplorer l'influence du Tachikawa-ryû. Vers la fin de l'époque médiévale, la réputation de laxisme sexuel valut à cette branche du Shingon, d'être qualifiée d'"hérésie" (jakyô), et ses textes furent – cas sans précédent au Japon – victimes d'un autodafé. Or, il suffit d'examiner d'un peu près les chroniques zen pour se rendre compte que, dans la pratique, l'interprétation de l'identité entre passions et éveil (bonnô soku bodai), l'un des corollaires de la théorie de l'éveil foncier qui fournissait la base doctrinale du tantrisme japonais tout comme du Zen, ouvrait la porte à un dangereux laxisme. Et notamment l'homosexualité masculine (ou plus précisément la pédophilie), si on la faisait remonter à l'action "civilisatrice" de Kûkai, n'en avait pas moins droit de cité dans les monastères zen [7].

Et, d'ailleurs, l'influence du Tachikawa-ryû ne disparut pas avec la proscription de ce mouvement. On la retrouve, à l'époque Edo, jusque dans l'ouvrage d'un obscur maître zen du nom de Dairyû, le Sangai isshin ki (ca. 1655). Après avoir récapitulé les divers savoirs de son époque en termes cosmologiques et embryologiques, Dairyû attribue au patriarche Zen Bodhidharma les paroles suivantes : "Si vous savez que votre propre esprit est le bouddha, vous n'avez plus à vous prosterner devant le bouddha, lire les écritures ou observer les défenses... Ne tranchez pas le désir sexuel, car ce désir est vide et tranquille." [8]


Le symbolisme de l'embryon

Un autre aspect important du tantrisme japonais (et notamment de la doctrine Tachikawa) est le symbolisme embryologique. Ce symbolisme, fortement prégnant dans le bouddhisme médiéval, se retrouve jusque dans les commentaires ésotériques des kôan Zen, comme le fameux kôan sur "le sens profond de la venue de l'ouest du maître patriarche [Bodhidharma]" (soshi seirai i). Ce kôan apparaît par exemple dans un "dialogue" (mondô) zen dit de "L'homme perché sur l'arbre", et tiré du Wumen guan ("La passe sans porte") :

Le moine Xiang'yan dit : "Imaginez un homme sur un arbre. Il est accroché par les dents à une branche. Ses mains ne peuvent saisir la branche, et ses pieds n'atteignent pas le tronc de l'arbre. Sous l'arbre, quelqu'un lui demande, "Pourquoi Bodhidharma est-il venu de l'ouest ?" Si l'homme ne répond pas du tout, il fait défaut au questionneur. Mais s'il répond, il tombe et se tue. Dans une telle situation, que doit-on faire ?"

Ce dialogue a donné lieu à une série de gloses traditionnelles, parmi lesquelles plusieurs manifestement inspirées des "traditions orales" (kuden) tantriques. L'une d'entre elles, dans un texte daté du dix-septième siècle, est attribuée au maître Zen Kohan Shûshin, et donne un exemple intéressant de symbolisme embryologique. Chacun des éléments du passage ci-dessus reçoit ainsi une signification allégorique : l'arbre étant le corps maternel, l'homme perché sur l'arbre devient le fœtus dans la matrice maternelle, et ainsi de suite. Une glose ramène le sujet à Bodhidharma, dont la légende nous dit qu'il passa neuf années assis en méditation dans une grotte du Songshan : "« Pendant neuf années face au mur, sa bouche est comme celle d'un muet. Pendant ces neuf années face au mur, pas un souffle de vent n'a passé, les cinq pétales se sont ouverts, les fleurs se sont dispersées, le printemps est arrivé à l'extérieur. » Explication : « Les neuf années passées [par Bodhidharma] devant le mur sont les neufs mois dans la matrice, couvert du placenta. Le fait que Bodhidharma face au mur porte sa robe rouge sur sa tête symbolise le placenta. »" [9]. Ces traditions orales, influencées de toute évidence par la doctrine du Tachikawa-ryû, sont reprises et systématisées à l'époque Edo dans le Sangai isshin ki du maître zen Dairyû.


Les spéculations phonétiques

Mais ce n'est pas sur le plan des murs monastiques ou du symbolisme embryologique qu'il convient de s'arrêter pour examiner les rapports du Zen et du tantrisme. Plus pertinente sans doute est l'affinité qui se manifeste dans les soubassements métaphysiques des deux doctrines. C'est en effet à ce niveau que l'on peut observer l'ampleur de l'évolution doctrinale par rapport au premier bouddhisme, voire au bouddhisme Mahâyâna. Pour comprendre cette évolution, il faut dire quelques mots de la conception tantrique du son, qui est à la base de la théorie des mantra (en japonais shingon, "paroles vraies").

Dans la phonétique sanskrite (et dans le tantrisme), le son, issu lui même d'une résonance inarticulée (nâda), est perçu comme l'origine de tous les sons, et par suite de l'univers. Les cinq grandes étapes de la cosmogonie indienne sont représentées par les "cinq révolutions" (modifications phonétiques) de la lettre a (a = a court, â = a long, am = a nasalisé par le bindu (skt. anusvâra), ah = a expiré (par le signe dit visarga), et amh (la synthèse des quatre autres sons). De la voyelle a naissent les sept autres voyelles de l'alphabet sanskrit (â, a long, i, î - i long, u, û - u long, r voyelle et l voyelle) qui vont se doter d'un sens symbolique en tant qu'elles représentent un niveau d'énergie particulier dans ce processus d'émanation [10]. La même chose vaut, en aval, pour les consonnes.

La lettre ADans le tantrisme sino-japonais, où l'écriture joue un plus grand rôle qu'en Inde, les spéculations phonétiques viennent se doubler de spéculations graphiques. Les cinq "révolutions" (j. goten) du son a deviennent maintenant les cinq "points" (goten, graphie différente) de la "lettre a" – chaque modification phonétique étant effectivement en sanskrit (siddham) marquée par un point ou trait sur le corps de la lettre. Le symbolisme reste le même, et les cinq "lettres-germes" (bîja) ainsi obtenues viennent tout naturellement s'inscrire dans un mandala. (Figure ci-contre).

Ces cinq niveaux de l'être sont aussi mis en correspondance avec les cinq éléments primordiaux du tantrisme (terre, eau, feu, vent, espace) représentés symboliquement par les cinq degrés du stûpa anthropomorphique, ou les cinq "roues" (cakra) du corps subtil du yoga. Ils sont également associés à diverses séries quinaires relevant des cosmologies indienne et chinoise, telles que : les cinq orients, les cinq saisons, les cinq formes, les cinq viscères, les cinq consciences, les cinq organes des sens, les cinq bouddhas. Ils dénotent enfin les cinq étapes de la sotériologie bouddhique : la pensée de l'éveil (bodhicitta), la pratique, l'éveil (bodhi), le nirvâna, et l'obtention des "moyens habiles" (upâya) qui permet, après la délivrance suprême, de revenir dans le monde pour le sauver. [11]

Voici par exemple comment, dans un ouvrage intitulé Shutten taikô, Eisai – qui malgré son titre de "patriarche" du Zen Rinzai japonais restait un adepte tantrique (d'obédience Tendai) – fait la synthèse des pentades indiennes et chinoises, en l'attribuant au maître indien Nâgârjuna : "Si quelqu'un désire produire la pensée de l'éveil et accéder à la voie directe menant au nirvâna, il doit connaître les causes fondamentales des cinq connaissances. C'est pourquoi le bodhisattva Nâgârjuna associa les cinq agents – bois, feu, métal, eau, terre – avec les cinq directions et les cinq saisons – printemps, été, automne, hiver, et saison intercalaire. Au moyen des cinq sections (du mandala) – vajra, joyau, lotus, karma, et bouddha – il manifesta les cinq connaissances du grand miroir rond, de la nature d'égalité, de la perspicacité merveilleuse, de l'accomplissement des actes, et de la nature essentielle de la sphère de la loi." [12]. Eisai décrit ensuite de manière détaillée les cinq portes de la pratique et leur symbolisme spatial, qui est celui d'une circumambulation (pradaksina) partant de l'est, passant par le sud, l'ouest et le nord, pour aboutir au centre [13].


Du Tout au Rien

Un exemple significatif de l'influence tantrique sur le Zen pré-moderne est celui du kôan mu. Ce kôan, largement utilisé dans le Zen Rinzai, est tiré du dialogue suivant, cité par le Wumen guan : un moine demande au maître Chan Zhaozhou (778-897) : "Un chien a-t-il une nature de bouddha ?" À quoi Zhaozhou répond : "Mu !" (ou plutôt dans le dialogue chinois original, plus proche d'un aboiement que d'une réponse : Wu !). Le terme négatif mu/wu se traduit selon les contextes par : "non", "il n'y a pas", "rien", voire, plus philosophiquement, par "non-être". Jusque là, on reste dans le Chan le plus classique. Toutefois ce kôan, ou plutôt la réponse de Zhaozhou, allait bientôt subir un étrange processus herméneutique de sacralisation – surprenant en tout cas pour quiconque s'en tient à une vision idéalisée (et sectaire) du Chan "pur". Voici par exemple comment, dans l'école Sôtô, le Chûteki himitsusho interprète le caractère mu (sous sa forme écrite) en termes cosmologiques largement inspirés du tantrisme :

La lettre a est la première forme de l'être humain. Le simple [caractère] mu représente l'aspect des cinq formes dans leur plénitude et perfection. Lorsqu'on regarde le caractère mu en en dissociant [les composantes], le point au sommet symbolise le "sans-faîte" [14] ; le trait suivant représente le ciel, le trait du milieu l'homme, le trait du bas la terre. Ce sont les "trois points" du caractère "esprit." Ils symbolisent les trois périodes – passé, présent, futur ; les trois corps [du Bouddha] [15] ; et les trois vérités [16]. La totalité [constituée par] le ciel, l'homme, et la terre forme un cercle. Les quatre traits verticaux symbolisent les quatre directions, les quatre membres du corps humain ; les quatre [formes de] souffrance, les quatre [types de] naissance. Les quatre "points ignés" (katen) du bas symbolisent les quatre points ordinaux. Associés [aux quatre traits verticaux,] ils représentent les huit directions. L'ensemble des huit directions et des deux principes du ciel et de la terre constitue les dix directions, [autrement dit] un cercle. Tel est ce qu'on nomme le "sans-forme". [Le caractère] mu symbolise "l'arrivée conjointe au centre [du droit et de l'oblique]" (kenchûtô) du relatif et de l'absolu [17], ou le "sans-faîte". C'est le mystère, la matrice maternelle, [l'espace] "au-dessus de la tête" des bouddhas [18]. Dans notre école, c'est ce qu'on nomme ["noir comme de] la laque". C'est pourquoi il est dit que "foncièrement rien n'existe" [19].

Essayons d'expliquer ce symbolisme particulièrement dense en nous reportant au diagramme qui accompagne le texte. Si la lettre a est la "première forme de l'être humain", c'est parce qu'elle est assimilée au bindu, terme qui, outre sa valeur de "goutte sonore", désigne aussi la "goutte" résultant de l'union harmonieuse des "fluides" de l'homme et de la femme, le "blanc" et le "rouge" ("sperme" masculin et "sang" féminin). C'est donc, comme on l'a noté, le premier des cinq stades de la conception embryonnique. Dans certains textes Tachikawa, repris dans les kirigami (documents ésotériques) du Zen, ces deux fluides (ou "gouttes") sont d'ailleurs symbolisés par deux lettres sanskrites a juxtaposées – l'une blanche, l'autre rouge.

Mais laissons ici ces conceptions embryologiques, pour nous en tenir aux aspects phoniques et graphiques. On note tout d'abord l'identification du phonème/graphème mu et du phonème/graphème a. L'idée d'assimiler ces deux graphèmes vient sans doute de ce que le caractère mu signifie l'absence, l'inexistence – qui est l'un des aspects (l'aspect privatif) de la lettre a utilisée comme préfixe (en sanskrit comme en français). Notons au passage que, dans le syllabaire japonais (hiragana et katakana), qui reprend la structure phonétique du sanskrit et commence lui aussi par la lettre a, celle-ci a perdu son caractère privatif. Ici, l'origine en tant que non-être n'est plus inscrite dans la langue, comme en sanskrit.

La lettre MuPour exprimer le non-être en sino-japonais, il fallait donc recourir à un "idéogramme", le caractère mu précisément, qu'on utilise dès lors comme une sorte de mantra, "vocalisé" lors des séances de méditation visant à "couper le souffle" et à aboutir ainsi à une résonance pure – laquelle n'est autre que la nâda tantrique, l'Absolu au fond de la parole. Mais il s'agit aussi de lui faire retrouver la double valeur métaphysique ("être" et "non-être") que fournissait la lettre-syllabe (ou "lettre-germe", skt. bîja) a. Pour cela, on va recourir à la graphie du caractère en question, qui se prête admirablement à une lecture cosmologique permettant de retrouver tous les degrés de l'être [20]. (Figure ci-contre).

Le caractère mu est aussi l'équivalent de la syllabe om. Dans cette syllabe fondamentale, le bindu (m), point marquant en sanskrit la nasalisation (anusvâra) qui prolonge la voyelle, symbolise le processus de résorption qu'accomplit l'adepte tantrique (à l'inverse du processus d'émanation cosmique), bouclant ainsi, en quelque sorte, la boucle du Réel. Il s'agit en l'occurrence d'atteindre l'Absolu par la parole – car la parole s'identifie à sa source (le son pur, indifférencié) avec l'Absolu. Ce processus de résorption permet de remonter à ce "point sonore" et, au-delà de lui, au-delà de toute vibration audible. Ainsi, dans la triade constituée du monosyllabe om, l'union du mâle (a) et de la femelle (u) se résorbe en ce point principiel (m). De même, l'univers entier forme l'édifice qui se résout dans le point principiel par lequel on "pointe l'œil" du caractère mu.

Diagramme tantriquediagramme tantrique

Examinons maintenant, à la lumière de ce symbolisme, le schéma placé en annexe du Chûteki himitsu sho (ci-dessus). Il se décompose en trois sections.

Diagramme tantriqueLa section 1 représente une rose des vents chinoise, et en même temps une représentation du processus cosmogonique. Il s'agit de décrire les cinq phases majeures de ce processus d'émanation, reflétant le passage de l'un au multiple, ou du centre à la périphérie, selon les huit trigrammes classiques du Yi jing ("Livre des mutations"). Il n'est pas possible d'entrer ici dans le détail de ce système, par ailleurs bien connu. Notons simplement son importance dans le Zen Sôtô et, en particulier, dans la théorie des "cinq rangs" (wuwei, j. goi). Une légende indique que ces trigrammes ne sont autres que le caractère mu. C'est ce que met en relief le dessin à la gauche de la rose des vents (ci-contre).

Diagramme tantriqueLe cercle au sommet représente l'Absolu, le "sans faîte" qui est la source du monde créé (le monde de la multiplicité symbolisé par les trigrammes). Graphiquement, ce cercle représente le point ou trait au sommet du caractère mu, l'analogue du point ou bindu sur la lettre-germe om. En le pointant, on "pointe l'œil" (tengen) du caractère en question, tout comme on "pointe les yeux" d'une icône bouddhique pour l'animer, la doter d'un "souffle". Le caractère mu, comme ses équivalents tantriques om ou a, devient ainsi une icône vivante – mais également un microcosme.

Le reste du diagramme représente les autres éléments de ce microcosme graphique (ou cosmogramme, comme le mandala) : les troits traits horizontaux constituent ainsi les trois niveaux de la cosmologie chinoise – ciel, homme, et terre ; les quatre traits verticaux correspondent aux quatre points cardinaux, les quatre points (dits points "ignés" en raison de leur ressemblance avec l'idéogramme "feu"), à la base du caractère, aux quatre points ordinaux.

En somme, on a affaire ici à un mandala, un cosmogramme orienté dont le centre (et le point d'origine) serait le point (trait ou cercle) supérieur. La même chose est vraie de la lettre a de la section 2 du diagramme, dont les cinq traits correspondent aux cinq couleurs symboliques et aux cinq directions. La même allégorie graphique se retrouve dans de nombreux kirigami du Zen.

Dans les sections 2 et 3 du diagramme, la lettre a est associée à un stûpa à forme humaine (ci-dessous). Le tout est préfacé de la légende suivante : "La lettre a est la première forme lorsque l'être humain entre dans la matrice. La lettre a, c'est l'histoire du chien de Zhaozhou. La lettre a, c'est le caractère mu." Ces deux sections sont reliées explicitement par des traits, qui mettent en correspondance leurs cinq composantes respectives (les cinq traits de la lettre a et les cinq niveaux ou "roues" du stûpa).

Diagramme tantriqueDiagramme tantrique

Le point du haut, blanc, est relié graphiquement à l'élément du vent (tête) du stûpa à forme humaine. Le second point, jaune, à l'élément terre (jambes) ; le troisième, noir, à l'élément eau (ventre) ; le quatrième, rouge, à l'élément feu (poitrine) ; le cinquième, bleu, à l'élément espace ("couronne"). On retrouve bien là le symbolisme de base du yoga tantrique. Mais le symbolisme quinaire ne s'arrête pas là, il semble même s'affoler.

Outre les listes habituelles, en particulier le mantra a-bi-ra-un-ken (skt. a-vi-ra-hum-kham, dont les cinq lettres symbolisent le Bouddha cosmique Vairocana), on trouve : na-mu a-mi-da (qui est comme on le sait le nembutsu, ou invocation du Bouddha Amida, telle qu'on la pratique dans l'école japonaise de la Terre Pure) ; myô-hô ren-ge-kyô (qui est le daimoku, ou titre du Sûtra du Lotus de la Loi Profonde, invoqué comme un mantra dans l'école Nichiren) ; et enfin, de manière encore plus surprenante, cinq caractères se lisant so-shi sei-rai-i ("Le sens profond de la venue de l'ouest du maître-patriarche"), dans lesquels on reconnaît le titre du fameux kôan mentionné plus haut, qui met en scène Bodhidharma : cinq caractères qui se résorbent peut-être, comme le kôan de Zhaozhou, en un sixième : mu.

Mentionnons pour finir une série quinaire encore plus étrange, à la gauche du stûpa : cinq formules résumant les cinq étapes de la vie du Bouddha "historique", Shâkyamuni : 1. "Sortie de la famille à dix-neuf ans" (jûkyû shukke) ; 2. "Six années de pratiques ascétiques (kûgyô rokunen) ; 3. "Obtention de l'éveil à trente ans" (sanjû jôdô) ; 4. "Première prédication à quarante-neuf ans" (yonjûkyû seppô) ; 5. "Entrée dans le nirvâna à soixante-dix-neuf ans" (shichijûkyû nyûmetsu). On sait l'importance qu'avait Shâkyamuni comme modèle du pratiquant dans le Zen, mais, en dépit de tout ce qui précède, on ne s'attendait guère à trouver sa carrière religieuse "mise en forme" selon le symbolisme spatial du mandala tantrique des "cinq portes".

Malgré son caractère pour le moins éclectique, ce diagramme est important en ce qu'il explicite un système épistémologique qui, quoique tirant sa double origine dans le rituel tantrique et la cosmologie chinoise, avait débordé de ses affiliations sectaires pour devenir partie intégrante des conceptions métaphysiques de l'époque Edo – à tel point que ces conceptions en viennent paradoxalement à former l'armature mentale d'un mouvement comme le Zen qui, au départ, s'était illustré par son parti-pris anti-cosmologique et anti-ritualiste. On peut regretter cette évolution et n'y voir, comme le font les tenants d'une orthodoxie introuvable, qu'une déviation, mais on se condamne à ne rien comprendre à l'histoire du Zen si, comme on l'a fait jusqu'ici, on refuse de prêter attention à cette évolution et à la complémentarité doctrinale et historique des deux traditions du Zen et du Tantra.


Notes

1. L'une des notions mises en avant dans le védisme comme dans le tantrisme est celle de nidâna (ou upanisad), "connexion" (ou même "équivalence"), fondée sur l'identité de deux choses ou êtres situés sur des plans analogues de la structure cosmique. Or, comme Louis Renou l'a noté, ce terme nidâna est également l'élément de base de la causalité bouddhique (les douze nidâna qui décrivent l'enchaînement physique et psychologique de l'existence), la "co-production conditionnée" (pratitya-samutpâda). On est donc passé de la "connexion" védique à la "causalité" bouddhique. Le tantrisme bouddhique, lui, revient à la notion de "connexion", autrement dit à une sorte de "pensée corrélative" qui se trouvera bientôt des affinités avec la cosmologie chinoise. Cf. Louis Renou, L'Inde fondamentale. [Retour]

2. Sur cette question, cf. Chou Yi-liang, "Tantrism in China", Harvard Journal of Asiatic Studies, 8, 1944-45, pp. 241-332. [Retour]

3. Cf. Tanaka Ryôshô, "Relations Between the Buddhist Sects in the T'ang Dynasty through the ms. P. 3913", Journal Asiatique, 269, 1981, pp. 163-169. [Retour]

4. Cf. Li Lin-Ts'an, "A Study of the Nan-chao and Ta-li Kingdoms in the Light of Art Materials Found in Various Museums" (en chinois, avec résumé en anglais), Taipei : Academia Sinica, 1967 ; et Helen B. Chapin, "A Long Roll of Buddhist Images, révisé par Alexander C. Soper, Artibus Asiae, vol. 32, 1970, pp. 5-41, 175-199, 259-306 ; et vol. 33, 1971, pp. 75-140. [Retour]

5. J'emploie ici le terme tantrisme plutôt que Shingon (qui ne désigne que l'un des deux principaux courants tantriques, le Tômitsu, et oublie le tantrisme d'obédience Tendai) ou mikkyô (doctrine ésotérique), pour bien souligner la continuité idéologique entre tantrisme indo-tibétain et son analogue japonais. Le terme mikkyô, utilisé par les érudits japonais, a eu justement pour but de masquer cette continuité avec le tantrisme indo-tibétain, jugé peu recommandable en raison de ses aspects sexuels. [Retour]

6. Ichien Mujû, Collection de sable et de pierres, trad. Rotermund, Paris, Gallimard, 1979. p. 168. [Retour]

7. Voir sur cette question Bernard Faure, Sexualités bouddhiques, Aix-en-Provence, Le Mail, 1994. [Retour]

8. Cf. Sangai isshin ki, in Washio Junkyô, Nihon shisô tôsô shiryô, pp. 504-550, Tôkyô, Tôhô shoin, 1930. [Retour]

9. Cf. Suzuki Daisetsu, Suzuki Daisetsu zenshû, Tôkyô, Iwanami shoten, 1968, t. 1, pp. 284-302. On retrouve cette exégèse dans divers documents initiatiques (kirigami) du Zen. [Retour]

10. La lettre siddham i, en particulier, joue un rôle important dans la symbolique et le rituel zen. Elle est en effet formée de trois cercles disposés en triangle, forme qui est censée évoquer les trois points du caractère sino-japonais pour "cœur" ou "esprit" (ch. xin, j. shin ou kokoro) – terme central dans l'école du Zen, parfois appelée "école de l'esprit du Buddha" (busshinshû). Ces trois points représentent les trois aspects de la réalité ultime et la lettre i est perçue (à l'instar de la lettre a) comme l'origine de toutes choses. [Retour]

11. Dans le rituel funéraire du Zen, les quatre premières phases, désignées sous le nom des "quatre portes", constituent aussi les étapes par lesquelles on fait passer le mort avant la crémation, pour le conduire rituellement vers cette délivrance ultime qu'il n'avait su réaliser de son vivant. C'est grâce à ce symbolisme spatial (qui est celui du mandala) que le Zen est devenu la principale forme du bouddhisme "funéraire" au Japon. [Retour]

12. Sur ces cinq connaissances, cf. Bernard Frank, Dieux et Bouddhas au Japon, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, pp. 148-151. [Retour]

13. Cf. Shutten taikô, in Nihon daizôkyô, Tendaishû mikkyô, vol. 48, pp. 648-651. [Retour]

14. En japonais mukyoku, en chinois wuji : la réalité suprême, le non-être d'où émerge l'être. Le wuji est représenté dans les diagrammes zen par un cercle noir, tandis que le "faîte suprême" (la "pointe de la réalité") est représenté d'ordinaire par un cercle rouge. Dans le tantrisme japonais, le wuji correspond au bindu, ou au "point de l'espace" (kûten). [Retour]

15. Ce sont le dharma-kâya, le sambhoga-kâya, et le nirmana-kâya. [Retour]

16. À savoir, les vérités du vide (), du provisoire (ke), et du milieu (chû) selon la doctrine Tendai. [Retour]

17. La formule caractérise l'un des cinq rangs (ch. wuwei, j. goi) de la dialectique Sôtô, en l'occurrence le cinquième, symbolisé par un cercle noir. Cette théorie des cinq rangs, attribuée aux fondateurs éponymes de l'école Sôtô (en chinois Caodong), Dongshan Liangjie (807-869) et Caoshan Benji (840-901), décrit sous forme diagrammatique l'interpénétration de l'absolu et du relatif - désignés respectivement par les termes "droit" (ch. zheng, j. shô) et "oblique" (ch. bian, j. hen). [Retour]

18. Ce terme désigne l'usnîsa ou protubérance crânienne du Bouddha, mais il renvoie aussi au cakra ultime du corps humain dans le yoga tantrique. [Retour]

19. Sôtôshû zensho, Tôkyô, Sôtôshû shûmuchô, 1970-73, Chûge, p. 358. L'expression "foncièrement rien n'existe" renvoie à un vers d'un poème attribué au sixième patriarche Chan, Huineng (mort en 713). La même analyse graphique se retrouve dans divers kirigami de l'école Sôtô. Notons en passant que les textes ésotériques où apparaissent cette exégèse graphique traitent en l'occurrence de la façon de produire des talismans à déposer dans la tombe des femmes mortes en couches – pour apaiser les doubles victimes de la malemort, dont le ressentiment pourrait venir troubler les vivants. Comme le dit l'un de ces documents : "Ce talisman, en son essence, est le caractère mu... Ce caractère est foncièrement non-né, hors de toute atteinte. L'absence de rang est le "sans-faîte", le rang de l'éveil profond." Le caractère mu est ici identifié à la réalité absolue, le havre ultime pour les morts. [Retour]

20. Sur cette question, cf. Bernard Faure, "De Deux à Cinq : Figures de l'épistémologie japonaise pré-moderne", Daruma, 1998. [Retour]

© Bernard Faure, 2000. Reproduction interdite. [Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf]


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