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Le Recueil de la transmission de la lumière - Denkôroku (extrait)

de Keizan Jôkin (1268-1325)

"Upagupta, le quatrième patriarche"


"Le Recueil de la transmission de la lumière" (jap. Denkôroku) est l'un des principaux ouvrages étudiés dans l'école zen sôtô. Il s'agit d'une série de conférences données par Keizan Jôkin (1268-1325) lors d'une retraite d'été au temple de Daijôji qu'il reprit une nouvelle fois dans son temple de Yôkôji. L'ouvrage se présente comme une chronique de la transmission à travers les siècles, de l'Inde jusqu'au Japon. Chaque section est consacrée à l'un des patriarches de la lignée de Keizan, depuis le bouddha Shâkyamuni jusqu'au 53e patriarche Ejô. Elles se composent systématiquement de quatre parties : un cas (jap. kôan), une "vie" du patriarche qui puise dans les recueils chinois de la lampe (les grandes sommes de l'histoire du zen écrites à l'époque Song), enfin des commentaires et un poème conclusif de Keizan. Bien qu'il utilise la matrice des recueils chinois, Keizan compose un ouvrage très personnel où le merveilleux et les pouvoirs magiques jouent un rôle prépondérant. Preuve s'il en est, la section traduite ici consacrée à Upagupta, le quatrième patriarche indien. Keizan narre comment il convertit Pâpîyân, le roi des démons, par un subterfuge magique.

Upagupta est considéré comme le quatrième patriarche de la tradition zen. Il vécut une centaine d'années après le Bouddha Shâkyamuni dans le royaume de Mathurâ. Sa biographie est notamment développée dans le "Livre des sages et des idiots" (jap. Kengukyô, T. 202) et dans "La transmission du roi Ashoka" (jap. Aikuôden, T. 2042). Surnommé "le bon Bouddha sans marques", il avait l'habitude de compter les réalisations qu'il avait pu susciter avec des bâtonnets qu'il entassait dans une caverne. Lorsqu'elle fut totalement remplie, Upagupta jugea qu'il pouvait entrer en nirvâna! Keizan reprend presque mot pour mot certaines anecdotes des Recueils de la lampe. À noter cependant que l'échange entre Upagupta et son maître Shanavâsa est différent de celui relaté dans "Le recueil de la transmission de la lampe" (jap. Dentôroku) :

Il alla se prosterner devant le vénérable dans l'intention de devenir moine.
Le vénérable lui demanda : "Renonces-tu physiquement ou mentalement au monde ?"
Il répondit : "Si je viens renoncer au monde, ce n'est ni pour le corps ni pour l'esprit."
Le vénérable lui dit : "Si ce n'est ni pour le corps ni pour l'esprit, qui renonce au monde ?"
Il répondit : "Je renonce au monde car il n'y a rien de tel qu'un moi. Puisqu'il n'y a pas de moi, l'esprit ne naît ni ne disparaît. Si l'esprit ne naît ni ne disparaît, c'est la voie éternelle. Les bouddhas sont aussi éternels. L'esprit est dénué d'apparence, leur corps de même."

Le dialogue permet à Keizan une discussion très classique dans le zen sur le dépassement de l'idéal du moine, "celui qui renonce physiquement au monde" et de l'idéal de bodhisattva, "celui qui renonce mentalement au monde". À noter la description de l'éveil, présentée comme une mort foudroyante qui est en même temps renaissance.


À lire :

En anglais, une traduction anglaise du "Recueil de la transmission de la lumière", Transmission of Light : Zen in the art of Enlightenment by Zen master Keizan, translated and with an introduction by Thomas Cleary, New-York, Weatherhill, 1992.
En anglais, sur l'imaginaire de Keizan, Bernard Faure, Visions of Power : Imagining Medieval Japanese Buddhism, Princeton, Princeton University Press, 1996.
Sur Upagupta et ses bâtonnets, l'article "Chû", Hôbôgirin : Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme d'après les sources chinoises et japonaises, 5e fascicule, Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient, 1979, pp. 431-456.

Sur le site :

Une traduction du Sankon zazen setsu, "Les trois sortes de méditation", un texte court de Keizan
Une biographie de Keizan publiée en 1915 en anglais par l'école sôtô



[Le cas] Le quatrième patriarche, le vénérable Upagupta, servit le vénérable Shanavâsa pendant trois ans. Puis il se tonsura et se fit bhiksu.
Alors le vénérable lui demanda : "Renonces-tu physiquement ou mentalement au monde ?"
Le maître lui répondit : "En vérité, je renonce physiquement au monde."
Le vénérable lui dit : "Comment la merveilleuse doctrine des bouddhas pourrait-elle dépendre du corps ou de l’esprit ?"
Le maître eut alors le grand éveil.


[La vie] Le maître était du pays de Tâli. On écrit également [son nom d’une autre graphie en chinois] Upagupta. Sa famille appartenait à [la caste] des sûdra. Il se trouvait auprès du vénérable Shanavâsa depuis ses quinze ans. Il devint moine à l’âge de dix-sept ans et obtint le fruit à vingt-deux.

Au cours de ses voyages d’enseignement, il se rendit au royaume de Mathurâ. Ceux qui étaient sauvés se trouvaient fort nombreux de sorte que le palais du Démon en tremblait et que Pâpîyân en était inquiet. À chaque fois que quelqu’un obtenait le fruit, [Upagupta] déposait un bâtonnet de quatre doigts de long dans une cellule troglodyte. Cette cellule troglodyte faisait dix-huit coudées de long sur douze de large et en était remplie. Il s'agissait de coudées de deux pieds. Il fut incinéré avec les bâtonnets [de tous] ceux qu’il avait sauvés toute sa vie durant. Ils avaient été nombreux comme si l’Ainsi-venu avait été de ce monde. C’est pourquoi [Upagupta] est communément révéré sous le nom du "bon Bouddha sans marques".

Pâpîyân était exaspéré. Il attendit le moment où [Upagupta] entra en méditation pour utiliser tous ses pouvoirs démoniaques afin de compromettre la véritable doctrine. Le vénérable entra en samâdhi et comprit ses intentions. Pâpîyân l’observait encore, et discrètement prit un collier de perles qu’il lui passa autour du cou. Le vénérable pensa à ce moment-là à le subjuguer. Il sortit de sa méditation et avisa trois dépouilles, celles d’un homme, d’un chien et d’un serpent qu'il métamorphosa en un collier de fleurs. Par des paroles conciliantes, il réconforta Pâpîyân : "Tu m’as offert un collier de perles si magnifique. J’ai là un collier de fleurs que je voudrais te donner en retour afin de te remercier." Tout réjoui, Pâpîyân tendit le cou et accepta le collier. Mais aussitôt, celui-ci se transforma et redevint les trois cadavres nauséabonds tout infestés qu’ils étaient de vermine. Pris de nausée, Pâpîyân commença à se sentir mal. Il recourut à ses pouvoirs magiques mais il ne put ni les enlever, ni s’en délivrer, ni même les bouger. Alors il s’éleva jusqu’aux cieux des six désirs et s’adressa à tous les maîtres des cieux. Il alla également voir le dieu Brahmâ pour se libérer [des cadavres]. Tous lui dirent : "Il s’agit d’une transformation surnaturelle qui est l’œuvre d’un disciple [du Bouddha] doué des dix forces, les nôtres sont ordinaires, comment pourrions-nous te les ôter ?" Pâpîyân leur demanda : "Que puis-je faire alors ?" Le dieu Brahmâ lui dit : "Remets-toi en au vénérable et tu pourras t’en défaire." Puis il prononça une stance à son intention afin qu’il s’y consacre :

Celui qui trébuche sur le sol
Doit encore prendre appui sur le sol pour se relever.
Même celui qui veut s’en dispenser et cherche à se relever
Ne peut finalement se passer de cette règle.
C’est en t’appuyant encore sur le disciple doué des dix forces
Que tu dois chercher à t’en libérer.

Une fois qu’il eut reçu cette instruction, Pâpîyân descendit du palais des dieux. Il se prosterna aux pieds du vénérable et se repentit. Il implora son secours. Upagupta lui dit : "Cesseras-tu désormais de harceler la véritable doctrine de l’Ainsi-venu ?" Pâpîyân répondit : "Je promets de me consacrer à la voie du Bouddha et de me défaire pour toujours du mal." Upagupta lui dit : "Dans ce cas, tu dois réciter toi-même les refuges dans les trois trésors." Le prince des démons joignit les mains, les récita par trois fois et le collier de fleurs se défit totalement.


[Le commentaire] [Upagupta] démontrait de cette manière la puissance de l’enseignement du Bouddha comme si l’Ainsi-venu était de ce monde.

Au moment où il fut tonsuré pour ses dix-sept ans, Shanavâsa lui demanda : "Renonces-tu physiquement ou mentalement au monde ?"

Il y a toujours eu un double renoncement au monde, à la fois physique et mental, dans la famille du Bouddha. Le renoncement physique signifie qu’on délaisse les sentiments personnels et sociaux, qu’on quitte son lieu d’origine, qu’on se rase les cheveux, qu’on change de vêtements, qu’on n’entretient plus de domestique, qu’on devient bhiksu ou bhiksunî et qu’on pratique la voie tout au long du jour. Sans autre désir, on ne passe donc plus son temps en vain. Sans avoir peur de la mort, on ne prend donc plus plaisir à la vie : "L’esprit est comme la lune automnale pure et brillante, l’œil est comme un miroir clair que rien n’obscurcit." On ne recherche ni l’esprit ni l’essence, on ne s’occupe pas des vérités saintes, encore moins des attachements mondains. De cette façon, on ne s’en tient pas à la condition des êtres ordinaires, on ne s’attache pas plus à celle des sages et des saints. On est réellement un homme de la voie sans esprit. Tel est celui qui renonce physiquement au monde.

Le renoncement mental signifie qu’on ne se rase pas les cheveux et qu’on ne change pas ses vêtements. Même si l’on demeure à la maison au milieu des vicissitudes du monde, on est comme un lotus qui n’est pas souillé par la boue, comme un joyau qui n’est pas recouvert de poussières. Même si, de par les circonstances, on possède femme et enfants, on ressent que ce n’est que fétu de paille et poussière : il ne demeure plus la moindre pensée d’attachement, plus rien n’est convoité. Telle la lune fixée dans le ciel, telle la perle qui roule sur un plateau, on reconnaît l’homme tranquille au milieu du marché bruyant, on voit par-delà le temps au sein des trois mondes, on sait qu’abolir les passions est aussi une maladie et que se fixer pour objectif l’ainséité relève de l’erreur. Le nirvâna et le samsâra ne sont que des irisations dans l’espace, l’éveil et les passions ne se différencient pas. Tel est celui qui renonce mentalement au monde.

Il [lui] demande donc "renonces-tu au monde physiquement ou mentalement ?" Pourtant s’il n’y avait pas ce genre de renoncement, il ne serait pas un renonçant. Il lui pose donc cette question.

Or Upagupta répond : "En vérité, je renonce physiquement au monde." Ici, il ne s’en tient pas à l’esprit ni ne parle de l’essence ou du mystère. Il sait que le corps fait de quatre éléments et de cinq agrégats renonce effectivement au monde. On l’atteint sans bouger, il sait bien le don d’ubiquité [du corps]. On l’obtient sans le chercher, il sait bien [que l’esprit est] insaisissable. C’est en ce sens qu’il a répondu qu’il renonçait physiquement au monde.

Néanmoins la merveilleuse loi des bouddhas ne peut être appréhendée en ces termes. C’est pourquoi Shanavâsa déclare qu’en vérité les bouddhas ne renoncent au monde ni physiquement ni mentalement. Ils ne voient pas en fonction de quatre éléments ou de cinq agrégats, pas plus qu’ils ne s’éveillent selon le principe, la nature, le mystérieux ou le merveilleux, car ils sont libérés du saint et du vulgaire, ils sont dépouillés du corps et de l’esprit - tout comme il n’y a pas d’intérieur et d’extérieur dans l’espace, d’envers ou d’endroit dans l’océan. Bien qu’il y ait de nombreux principes merveilleux, d’innombrables d’enseignements et une multiplicité de différences, ils ne disent que cela. Ainsi on ne peut appeler "moi seul suis le vénéré" le Bouddha, on ne peut dire "point d’allée, point de venue". Qui peut dire "avant la naissance de mes parents" ou "avant le kalpa du vide" ?

Lorsqu’on atteint ce lieu, on transcende le né et le non-né, on se libère de l’esprit et du non-esprit. Comme l’eau qui épouse le vase, on l’empoigne et elle ne remplit pas la main ; comme l’air qui se conforme aux choses, on le cherche et on n’en trouve pas la trace. Telle est la merveilleuse doctrine des bouddhas.

Lorsqu’on atteint ce lieu, comme Upagupta ne s’y trouve pas, pas plus que Shanavâsa n’y apparaît, nul besoin du mouvement ou de l’immobilité, ni d’une allée ni d’une venue. Même s’il y a affirmation et négation, moi et autrui, ce ne sont que rumeurs au fond de l’eau, tout semblables qu’ils sont à l’espace sans fin. Mais sans l’expérimenter une seule fois, même les dizaines de millions d’enseignements et les innombrables principes merveilleux s’absorberont inutilement [dans le] le flux de la conscience karmique.

Par une telle explication, le vénérable Upagupta réalisa soudainement le grand éveil. Cela tenait du brusque coup de tonnerre qui claque dans le ciel bleu ou du violent incendie qui éclate sur la terre. D’un coup, le violent coup de tonnerre l’a foudroyé. Non seulement Upagupta a perdu l’ouïe [mais] il en a rapidement perdu la vie. D’un coup, le violent incendie l’a consumé et les enseignements des bouddhas, les têtes des patriarches ont tous été réduits en cendres. Ces cendres sont apparues sous le nom du vénérable Upagupta. Elles étaient dures comme la pierre, noires comme la laque. Combien sont-ils à avoir oublié leur forme originelle, à avoir brisé en morceaux tout leur corps ? En vain, on a jeté des bâtonnets pour un compte vide et on a brûlé le vide pour laisser des traces vides.

Aujourd’hui, le descendant de Daijô, cherche [leurs] traces par-delà les nuages, pensant accrocher [quelques] mots dans le ciel bleu.

Voulez-vous les entendre ?

[Le poème] La maison est effondrée, les hommes ont disparu, sans plus d’intérieur ou d’extérieur,
Où le corps et l’esprit seraient-ils dissimulés ?


Traduction Éric Rommeluère. Reproduction interdite. [Télécharger et imprimer le texte au format pdf]


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