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Dôgen - Une biographie (cinquième partie)
La rencontre avec Rujing
Selon les plus anciennes biographies, Dôgen aurait décidé, après diverses pérégrinations, de revenir étudier auprès de Wuji. Sur la route, il apprend la mort de l’abbé et songe un instant à revenir au Japon. Mais Myôzen, son ami et premier maître, était resté au mont Tiantong, il décide donc d'y retourner, d'autant qu'on venait d'y nommer un maître du nom de Rujing pour succéder à Wuji.
Il arrive alors que la retraite d'été (ango) a déjà commencé. Il voit le nouvel abbé le 1er du cinquième mois lunaire de l'année 1225 :
C'est le premier du cinquième mois de la première année yin bois-coq de l'époque Baoqing des grands Song, que pour la première fois je me prosternais et reçus la transmission directe de mon défunt maître, le vieux bouddha de Tiantong. Et je fus un tant soit peu admis dans sa chambre. M'ayant quelque peu dépouillé du corps et de l'esprit, j'ai pu préserver cette transmission directe et l'initier au Japon. (Shôbôgenzô menju)
Cette date précisée par Dôgen lui-même interroge car la retraite d'été débutait alors le 15 du quatrième mois lunaire. Comme le souligne Dôgen lui-même dans un fascicule intitulé Ango, les moines qui se joignent à la traditionnelle retraite d’été de 90 jours doivent arriver au monastère à la fin du troisième mois lunaire et ne peuvent plus en sortir à compter du 1er du quatrième mois. Certains ont vu dans la précision de cette date la mention voilée d’une possible expérience mystique - son illumination.
Depuis ses dix-neuf ans où il quitta son pays à la recherche d'un maître, mon défunt maître persévéra dans la pratique de la voie et jusqu'à ses soixante-cinq ans, il n'en dévia pas. Il ne s'approcha pas de l'empereur ni ne le vit. Il ne fréquenta ni ministre ni fonctionnaire. Non seulement il refusa par une lettre à l'empereur la robe violette et le titre de maître, mais de toute de sa vie il ne porta pas de kasâya rehaussé ; habituellement pour monter en salle ou pour entrer dans la chambre, il utilisait un kasâya et une robe de couleur noire. (Shôbôgenzô gyôji)
Très jeune, Rujing (1163-1228, - ci-contre un portrait de Rujing) était devenu un moine spécialisé dans les écritures bouddhiques, mais à dix-neuf ans il se tournait vers la voie du zen qu'il étudia auprès des maîtres Songyuan Chongyue (jap. Shôgen Sûgaku, 1139-1209) et Wuyong Jingquan (jap. Muyô Jôzen), tous les deux de l’école Linji. Ce n’est qu’ensuite qu’il rejoignit la communauté du maître Zuan Zhijian (jap. Sokuan Chikan) de l'école Caodong dont il devint le successeur.
Rujing fut ensuite l’abbé de plusieurs grands monastères. En 1210, il est l’abbé du Quinglianzi (jap. Seiryôji), puis il est nommé par décret impérial abbé du Jingci Baoen Guangxiaozi (jap. Jôji Hôon Kôkôji), la quatrième des Cinq Montagnes. C’est à cette époque qu’il refuse un titre et la robe violette offerts par l’empereur. Enfin, au début 1225, il est nommé treizième supérieur du Jingdesi pour succéder à Wuji. Rujing fut l’un des rares moines de cette époque qui n'appartenait pas à une lignée de l'école Yangqi (jap. Yôgi) à être appointé comme abbé de l'un des grands monastères du système des cinq montagnes (gozan).
Un événement tragique survient au milieu de la retraite d’été, Myôzen, l'ami, le maître et le compagnon, meurt le 27 du cinquième mois après être tombé malade quelques jours auparavant. Il est incinéré le 29. Dôgen s’engage alors dans une pratique quotidienne rigoureuse sous la férule de Rujing qui instaure un emploi du temps consacré pour l’essentiel à la méditation.
Lorsque je résidais au monastère zen de Tiantong [au pays] des grands Song, L’ancien [Ru]jing s’asseyait le soir jusqu’au troisième quart de la deuxième veille [10 heures] et le matin se levait pour s’asseoir à partir du deuxième ou du troisième quart de la quatrième veille [1 heure 30 - 2 heures]. L’ancien et tous s’asseyaient dans la salle des moines. Il n’y avait pas de pause, même pour une seule nuit. À ce moment-là, nombre des moines s’endormaient. L’ancien faisait un tour et si des moines dormaient, il les frappait avec son poing ou avec l’un de ses souliers qu’il avait ôté et c’est en leur faisant honte et les invectivant qu’il les réveillait. S’ils dormaient encore, il allait dans la salle lumineuse sonner la cloche, il appelait un aide lui demandant d’allumer des bougies et faisait un sermon impromptu. (Shôbôgenzô zuimonki)
Rujing semble avoir chaleureusement accueilli cet étranger, l'autorisant à venir s’entretenir avec lui dans ses appartements même sans avoir revêtu la robe comme le prescrit l'étiquette.
À l'intérieur comme à l'extérieur des cent quatre-vingts sous-préfectures de l'actuel pays des grands Song, il y a des temples isolés et d'autres urbains dont le nombre ne saurait être évalué. Les moines y sont nombreux, mais ils sont bien peu ceux qui ont vu mon défunt maître, le vieux bouddha, encore moins ceux qui ont écouté ses paroles, encore moins nombreux ceux qui l'ont personnellement interrogé et à peine une poignée à pouvoir entrer dans ses appartements. Et combien encore, parmi ceux qui étaient autorisés à l'écouter, ont été ceux qui ont pu se prosterner devant la peau, la chair, les os et la moelle, la prunelle et le visage de mon défunt maître ? Mon défunt maître, le vieux bouddha, ne permettait pas qu'on puisse se joindre facilement aux moines. Il disait habituellement : "Ceux qui sont dénués de l'esprit de la voie ne peuvent rester ici avec moi." Et immédiatement reconduisait [les nouveaux venus]. L'ayant fait, il disait : "Que ferais-je de celui qui ne se conforme pas à sa condition originelle ? De tels chiens ne sont que des versificateurs qui ne peuvent se joindre à nous." Je l'ai vu et je l'ai entendu de mes propres oreilles. Je pensais alors en moi-même : "Quelles mauvaises actions ont-ils pu commettre pour ne pas être admis à suivre le supérieur, alors qu'ils sont de ce pays, et par quel bonheur, moi qui suis né dans un pays lointain, j'ai pu non seulement me joindre [aux moines] mais entrer à ma guise dans ses appartements, me prosterner devant sa haute figure et écouter ses paroles sur la loi. Et quoique ignorant, les bons liens tissés ne le furent pas en vain." (Shôbôgenzô baika)
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