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Dôgen - Une biographie (quatrième partie)
Le départ - les deux premières années du séjour en Chine
Myôzen et Dôgen décident tous deux de partir en Chine pour étudier le zen des Song et de visiter le monastère de Jingdesi (jap. Keitokuji) sur le mont Tiantong (jap. Tendô) où Eisai avait reçu la transmission du maître Xuan Huaizhang (jap. Kian Eshô). Ils quittent leur temple de Kenninji le deuxième mois lunaire de l’année 1223 en compagnie de deux autres moines du nom de Kakunen et de Kôshô (on ne sait ce qu’ils deviendront). Ils embarquent au printemps 1223 du port d'Hakata dans le Kyûshû et abordent les côtes de la préfecture chinoise de Qingyuan (jap. Keigen) au début du quatrième mois lunaire. Cette région de la Chine est prospère. Le zen y est particulièrement florissant, tous les grands temples et monastères sont concentrés sur cette zone côtière. Dôgen y restera quatre ans, de 1223 à août ou septembre 1127. Son séjour est scindé en deux périodes, de son arrivée à la mi-1225, où il visite plusieurs monastères puis de 1225 à 1227 où il rencontre et suit le maître Caodong (jap. Sôtô), Tiantong Rujing (jap. Tendô Nyojô).
Pour des raisons inconnues, mais peut-être liées à leur statut respectif de moine, Dôgen et Myôzen se séparent dès leur arrivée. Myôzen part directement rejoindre le mont Tiantong où il arrive le 13 du cinquième mois lunaire. Il y accomplit un service funéraire à la mémoire de son maître, le 5 du septième mois, le jour anniversaire de la mort d'Eisai. Dôgen, de son côté, reste sur la côte pendant trois mois et se contente de visiter quelques temples proches. Une rencontre avec un vieux moine d'une soixantaine d'années semble l'avoir particulièrement marquée. Ce moine occupait les fonctions de cuisinier (tenzo) au grand monastère de Guanglizi (jap. Kôriji) du mont Ayuwang (jap. Aikuô). Il était venu acheter sur le port des champignons japonais. Dôgen lui demande de rester un moment avec lui, mais le moine décline son invitation arguant des devoirs de sa charge plus importants qu'une discussion. Dôgen s’étonne qu'un vieux moine s'occupe de cuisine et qu'il consacre son temps au travail au détriment de la méditation et de l’étude. Pour toute réponse, le moine lui répond : "Tu ne comprends pas le sens de l’apprentissage de la voie (bendô), encore moins celui des caractères (monji)." Une réponse qui laissa Dôgen pour le moins perplexe. Leur entretien est rapporté dans ses "Instructions au cuisinier" (Tenzo kyôkun, 1237).
À l'automne, le septième mois de l’année 1223, Dôgen rejoint le temple de Jingdesi qui n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres. Le mont Tiantong était l'une des Cinq Montagnes (gozan), c'est-à-dire l’un des cinq grands complexes monastiques de la Chine de l'époque. Les grands maîtres zen de l’époque Song, Dahui Zonggao (jap. Daie Sôkô, 1085-1163) comme Hongzhi Zhengjue (jap. Wanshi Shôgaku, 1091-1157) en furent les abbés. À l’époque de la visite de Dôgen, plus de cinq cents moines y résidaient. L’expression des "Cinq Montagnes" fait référence à un réseau de monastères régi par le pouvoir impérial des Song du Sud. L’importance de la vie religieuse chinoise et l’effondrement de la dynastie des Song du Nord avait conduit le gouvernement à promouvoir un système structuré de cinquante monastères repartis en trois classes, cinq monastères principaux (gozan, "les cinq montagnes" au sens restreint), dix temples supérieurs (jissetsu) et trente-cinq temples ordinaires (kansetsu).
Lorsque Dôgen arrive au mont Tiantong, l’abbé est Wuji Liaopai (jap. Musai Ryôha, ?-1224), successeur de Zhuoan Deguang (jap. Settan Tokkô, 1121-1203), lui-même héritier de Dahui Zonggao (1085-1163). Le Sanso gyôgôki rapporte qu’il fut, dès son arrivée, relégué au rang de novice n’étant pas Chinois. Dôgen aurait alors protesté arguant que l’ordre devait être déterminé d’après le nombre d’années écoulées depuis l’ordination et non pas déterminé par des critères séculiers comme l'âge ou l’origine. L'abbé aurait rejeté sa demande prétextant qu’Eisai avait également été considéré comme un novice dans ce même monastère. Finalement Dôgen en aurait appelé à l'empereur qui lui aurait donné gain de cause. Toute l’histoire - que Dôgen n’évoque jamais - paraît bien douteuse. On voit mal comment un jeune étranger aurait pu faire plier la stricte organisation monacale chinoise et en appeler à l’empereur ? Plus prosaïquement, Dôgen n'avait reçu que les seuls préceptes de bodhisattva (bosatsukai) conformément à la doctrine tendai et non pas l’ordination plénière (gusoku) qui déterminait seule en Chine la hiérarchie des moines. Avant de se rendre sur le continent, Myôzen s’était, lui, rendu au temple de Tôdaiji, où il avait reçu cette ordination. L'un comme l'autre savaient la nécessité de présenter un certificat d'ordination pour entrer dans un monastère chinois. Mais Dôgen ne suivit pas l’exemple de Myôzen. Son séjour de trois mois sur la côte est vraisemblablement lié au fait qu'il ne possédait pas ce certificat. Juste après la fin de la retraite d'été, le moine cuisinier qu'avait rencontré Dôgen au port rejoint le mont Tiantong. Ils continuent alors leur conversation interrompue. Dôgen lui demande quels sont les caractères qu’il avait évoqués ? - "Un, deux, trois, quatre, cinq." répond le moine.
- "Qu'est ce que lapprentissage de la voie ?"
- "Rien n'est caché dans le monde."
Dôgen semble être resté un an environ au mont Tiantong. Ce monastère offrait un large panorama de la vie religieuse de la Chine des Song. Un moine japonais du nom de Ryûzen qui vivait dans ce complexe depuis plusieurs années fut sans doute son mentor et son interprète. À l'automne 1223, Dôgen demande au bibliothécaire du monastère qui descendait du maître Qingyuan (jap. Seion, ?-1120) de l'école Linji de lui montrer son certificat de transmission (shisho). Dôgen semble s’être particulièrement intéressé à étudier la forme et le contenu de ce document qui authentifiait le lignage d'un moine. Ce document, normalement tenu secret, ne pouvait être montré qu’à titre exceptionnel. Le septième mois, il discute de la possibilité de voir le propre certificat de Wuji Liaopai avec le directeur (tsûsu) du monastère. Le 21 du premier mois lunaire de 1224, un autre moine lui montre enfin le certificat de Wuji qui se présentait sous la forme d'un rouleau où était listée sa généalogie depuis Linji. Après l'avoir vu, il se rendit immédiatement auprès de l’abbé offrir de l'encens et se prosterner. Au même moment Zongyue (jap. Sôgetsu), héritier de Wuji qui occupait alors la fonction de chef des moines (shuso) lui montrait un certificat de l'école Yunmen (jap. Ummon) qu'il avait également en sa possession.
À l'automne 1224, Wuji, l’abbé, meurt. Dôgen a vraisemblablement quitté le mont Tiantong peu de temps auparavant bien que le Kenzeiki place son départ au début de l’année 1225. Le dixième mois de 1224, il rencontre deux moines coréens. L’entrevue le laisse perplexe, car ces moines quoique versés dans les écritures bouddhiques ne possédaient ni bol ni robe monastique (kesa). Il s'arrête au Wanshousi (jap. Manjuji), la première des Cinq Montagnes dont l’abbé est Zheweng Ruyan (jap. Setsuô Nyoen), un disciple de Zhuoan Deguang comme Wuji. Il côtoie alors nombre de disciples de la lignée de Dahui. S’est-il initié ou pratique-t-il alors le kannazen, l’introspection par les kôan ? Tout permet de le croire.
Au début de l'année 1225, il est au Wannianzi (jap. Mannenji) sur le mont Tiantai où il reçoit un accueil particulier de Yuanzu (jap. Gensu), l'abbé du monastère. Après quelques discussions, celui-ci ne peut s'empêcher de lui apporter son certificat de transmission en lui disant :
Même ceux qui me sont proches et les moines-assistants qui sont plus âgés que moi n'ont pu le voir selon les recommandations des bouddhas et des patriarches. Mais récemment, je me rendis en ville pour voir le préfet ; j'y fis un rêve. Un moine éminent que je pris pour le maître de dhyâna Fachang du mont Damei y tenait une branche de prunier en fleurs. Il me disait "si tu rencontres un homme véritable venu par bateau, ne lui refuse pas ces fleurs" et ce faisant, il me donnait les fleurs de prunier. Et sans m'en apercevoir, je murmurais dans mon rêve "s'il ne vient pas par bateau, il en aura bien pour une trentaine". Cinq jours ne sont pas passés et je vous vois. C'est par bateau que vous êtes venu et ce certificat de succession est écrit sur de la soie aux motifs de fleurs de prunier. N'est-ce pas ce qu'avait dit Daibai ? Je l'ai donc sorti pour m'y conformer. Voulez-vous être mon successeur dans la loi ? Si vous le voulez, je ne pourrais vous le refuser. (Shôbôgenzô shisho)
Dans l'imaginaire chinois, le rêve est un signe qui peut interférer sur le destin. Le moine reconnait en Dôgen, l’homme prophétisé par Damei Fachang (jap. Daibai Hôjô). Puisque Dôgen était là, c'était bien la preuve que Daibai lui-même s'était exprimé dans le rêve. Les biographes de Dôgen rapporteront que la veille de voir Dôgen, Rujing eut un rêve similaire dans lequel Dongshan, le fondateur éponyme de l’école Caodong, lui serait apparu.
Mais Dôgen refuse la proposition de l'abbé. En revenant au mont Tiantong, il s'arrête une nuit à l'hôtellerie du Hushengzi (jap. Goseiji) sur le mont Damei et il rêve cette nuit-là que le maître Damei lui offre une branche de prunier aux fleurs écloses. Au début de la retraite d’été 1225, il est au Guanglizi sur le mont Ayuwang. (.../...)
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Photographies : les bâtiments actuels du monastère de Jingdesi où séjourna Dôgen (DR).
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